Chapitre 3 : Connivence (2/2)

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Christophe passa à côté d'elle sans sembler la voir. Sur ses talons, le père Claude lui adressa un léger signe de tête auquel elle répondit par un sourire qui ne masqua pas la terreur toujours nichée dans ses yeux. Magdelaine se redressa et s'assit sur le bord du lit. Sa tête tournait un peu mais la douleur s'estompait déjà.

― Eh bien, première journée et vous voilà déjà alitée... Mes félicitations, la congratula Christophe.

Il fit un signe de tête à Anne qui se dirigea aussitôt vers la porte et quitta la pièce.

Magdelaine soupira.

― Dites-moi... Tous vos inquisiteurs savent comment tuer une sorcière, n'est-ce pas ? demanda-t-elle.

― Bien sûr, rétorqua l'homme avant de poursuivre sur un ton calme. Le feu ou la décapitation. La seule chose que vous ne puissiez soigner est un membre sectionné. S'il s'agit de la tête, c'en est fini de vous. Détruire votre médaillon par le feu vous rend également aussi vulnérables que n'importe quel Homme.

La jeune femme grimaça. Il savait visiblement de quoi il parlait. Le père Claude se dandina derrière lui, très mal-à-l'aise.

― Alors pourquoi a-t-on cherché à me tuer en me frappant au cœur ? s'enquit-elle, se doutant déjà de la réponse.

― Parce que l'auteur de l'attaque ne souhaitait pas votre mort, déclara Christophe. Son but était de vous intimider.

Magdelaine acquiesça.

― Ce n'était qu'un avertissement, poursuivit le jeune homme. En cela, je vous félicite d'avoir compris de quoi il retournait et de vous être abstenue de riposter. Je me montre peu clément envers les sorcières se rendant coupables de meurtres.

― Et s'il avait vraiment voulu me tuer ? osa-t-elle demander.

L'inquisiteur haussa les épaules. Face à cette non-réponse, la jeune femme ne sut pas vraiment quelle expression arborer. Sentant son malaise, le père Claude s'approcha d'elle.

― Je suis soulagé que vous soyez sauve, mademoiselle. Nous allons tout mettre en œuvre pour retrouver le coupable d'un tel acte. Il est impardonnable de violenter quelqu'un dans l'enceinte de la maison de Dieu. Le port d'armes y est pourtant prohibé pour qui n'occupe pas le poste de gardien des portes. Ce crime ne restera pas impuni.

― Et je ne supporte pas qu'on me défie ainsi... ajouta Christophe, ayant apparemment une idée générale sur l'identité du ou des coupables. Je comprends leurs réticences à s'allier à des gens comme vous, cela m'insupporte tout autant qu'eux, mais je serais prêt à vendre mon âme au Diable pour protéger mon peuple.

― Soyez assuré que la réticence est partagée, rétorqua Magdelaine, quelque peu vexée par le dégoût qu'elle avait senti dans sa voix sur « des gens comme vous ». Mais je ferai absolument tout ce qui est en mon pouvoir pour sauver la ville où je suis née et tous ceux qui y vivent.

Cette déclaration sembla satisfaire Christophe qui sourit et s'exclama :

― Bien ! Quand pensez-vous être prête à vous remettre en route, mademoiselle Morglas ? Je sais que vous êtes affaiblie, mais la Sorcière au Corbeau ne se montrera pas aussi miséricordieuse que votre agresseur envers le premier qu'elle croisera...

Magdelaine se leva prudemment, constata qu'elle avait recouvré ses forces et son équilibre, puis regarda l'inquisiteur dans les yeux.

― Dès à présent, déclara-t-elle.

― Permettez-moi de vous raccompagner jusqu'à la porte, que cette deuxième tentative soit la bonne, proposa ironiquement Christophe avant de se tourner vers le père Claude. Mon Père, réflexion faite, j'ai également une mission pour vous : demandez aux ecclésiastiques et religieuses de nous faire part de toute mort sortant de l'ordinaire. Il sera bon de le savoir quand la Sorcière entrera en action.

Le prêtre hocha la tête et quitta la pièce. Christophe tint la porte ouverte à l'attention de Magdelaine qui s'empressa de sortir. 

Ce fut sans encombre mais sous l'averse que la jeune femme parcourut le chemin du retour jusqu'à la librairie. Sa robe étant encore rouge sombre par endroits et déchirée au niveau du cœur, la rendant peu discrète, aussi avait-elle décidé de marquer un arrêt ichez elle pour se changer. L'endroit où elle se rendrait ensuite était protégé par de nombreux sortilèges et elle-même ferait usage de magie pour masquer ses traces, mais les sorts avaient leurs limites et elle ne voulait prendre aucun risque.

Quand elle franchit la porte de la boutique, monsieur Landec bondit sur ses pieds et se précipita sur elle.

― Te revoilà ! J'ai bien cru qu'ils t'avaient rendue à l'Éther ! Tout va bien, tu n'as rien ?

Magdelaine leva les mains pour l'empêcher de la prendre dans ses bras. Elle le connaissait : il dissimulait son inquiétude sous une apparente indifférence mais laissait toujours allègrement éclater sa joie, et ce bien souvent pour de longues minutes. De longues minutes que, ce jour-là, elle n'avait pas.

― Vous voulez dire à part l'éveil de la Sorcière au Corbeau ? Tout va bien. L'Inquisition accepte que nous joignions nos forces aux leurs.

Monsieur Landec se frotta les yeux.

― Quelle absurdité as-tu encore inventé là ? Magdelaine, on ne peut pas faire confiance à ces gens-là ! Dès que l'opportunité se présentera, ils t'abattront sans hésiter. Et soit certaine que personne ne souhaitera partager ton sort en se joignant à toi dans cette histoire.

La jeune femme balaya cet argument d'un haussement d'épaules.

― Je trouverai des volontaires, assura-t-elle. Et tant que nous sommes sous l'effet du pax in bellum, personne ne nous fera de mal.

― Le pax in bellum... cracha monsieur Landec. Tu sais tout comme moi qu'il n'est contraignant que pour nous ! Nous seuls sommes liés au sortilège ! Pour eux, ce ne sont que de belles paroles qui les arrangent beaucoup.

Elle vit les yeux de l'homme fixer les taches de sang encore présentes sur sa robe et le trou qu'y avait laissé la rapière.

― « Personne ne nous fera de mal », hein ? répéta-t-il.

― Ce n'est rien, je suis toujours vivante, lui fit remarquer Magdelaine en tirant sa cape devant elle, dissimulant comme elle le put les traces qu'avait laissées l'assaillant. Et cette fois-ci sera différente. En nous alliant, nous réussirons à éliminer la Sorcière au Corbeau pour de bon. Cela fait, nos relations en sortiront grandement améliorées.

― Tu es trop optimiste... Cela fait des siècles voire des millénaires que la Sorcière sévit et tu crois que joindre nos forces avec ces... inquisiteurs suffira ? Tu te fais des illusions, ma pauvre ! Tout ce que nous pouvons faire, c'est attendre qu'elle se rendorme et espérer être de ceux qui verront le printemps suivant.

Magdelaine secoua la tête. Elle savait que c'était l'avis partagé par la majorité de la communauté des sorcières. Mais cette fois-ci serait la bonne. Ils trouveraient la solution. Ils débarrasseraient les générations futures de ce démon.

Elle passa devant monsieur Landec, ignorant ses interpellations, et se dirigea vers les escaliers.

La Malédiction de la Sorcière au Corbeau (50%)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant