Chapitre 9 : Sang (2/2)

9 2 0
                                    

― L'alchimie ? réagit Christophe en réprimant un ricanement. Vous parlez de ces bêtises de pierre philosophale ou d'or fabriqué à partir de métaux sans valeur ?

Jean jeta un rapide coup d'œil à Anne, confirmant les soupçons de Magdelaine. Il faudrait qu'elles aient une petite conversation, toutes les deux...

Voyant son subordonné rester sérieux, bien qu'embarrassé (son émotion de base), Christophe se tourna vers la sorcière de l'eau en quête d'explications. Magdelaine hésita avant de jeter l'éponge.

― Nous étudions cette possibilité depuis quelques jours déjà, quand il est apparu que du sang était bel et bien dérobé de manière systématique aux victimes, concéda-t-elle. Cependant, l'alchimie à base de sang est formellement interdite, nous avons donc le plus grand mal à trouver des informations sur le sujet...

― Attendez... L'alchimie existe vraiment ? s'étonna Christophe.

― Dans notre vocabulaire, s'empressa d'intervenir Lison, il s'agit des techniques permettant d'utiliser des magies non élémentaires... Le pax in bellum est un sort créé par alchimie, par exemple. Le sang humain est un bon ingrédient pour stabiliser des sorts très puissants et pouvant donc être sujets à explosions, destructions ou anéantissement de toute vie dans un périmètre donné.

Les inquisiteurs avaient maintenant les yeux braqués sur elle, manifestement prêts à lui passer une épée au travers de la gorge si elle disait un mot de plus sur les différents effets possibles des sorts instables. Magdelaine lui donna donc un bon coup de pied sous la table. Lison se plia en deux et sa meilleure amie prit la suite :

― Comme je le disais, ces sorts sont interdits et punissables de la peine capitale : le rejet définitif des Primordiaux, ce qui prive le coupable de magie jusqu'à la fin de ses jours. Pardonnez l'enthousiasme de Lison, l'alchimie est sa spécialité, mais elle sait évidemment à quoi s'en tenir.

Sur ce, elle adressa un regard noir à son amie qui baissa les yeux, embarrassée.

― Donc, reprit Christophe, la Sorcière au Corbeau préparerait un sort nécessitant une grande quantité de sang humain ?

Magdelaine se tourna une nouvelle fois vers lui. Le ton de l'inquisiteur n'avait rien laissé paraître, mais ses yeux brillaient de ce qu'elle crut reconnaître comme un soupçon de contrariété, voire de trahison. La jeune femme sentit la culpabilité l'envahir mais, tout comme son interlocuteur, elle ne laissa pas sa voix s'en teinter.

― C'est effectivement ce que nous pensons, acquiesça-t-elle.

― Les marques sur le cou des victimes suggèrent pourtant qu'elle le boit... fit-il remarquer.

La sorcière de l'eau haussa les épaules.

― Elle prélève peut-être le sang en le suçant et le recrache ensuite...

― Et la première victime, la sorcière ? Votre sang a-t-il le même effet que le nôtre ? interrogea-t-il.

La jeune femme marqua une courte pause avant de poursuivre :

― Non, pas tout à fait... Je ne crois pas qu'elle ait pris le sien...

― Il y en avait pourtant une bonne quantité sur les murs et sur le sol, vous l'avez constaté vous-même. Je doute que la Sorcière au Corbeau ait voulu refaire la peinture après avoir carbonisé sa victime...

La chaise à côté d'eux racla le sol. Lison s'était levée, pâle. Elle s'excusa dans un souffle et quitta la pièce avec empressement, la tête basse.

Magdelaine s'apprêtait à la suivre quand Christophe lui fit signe de rester assise.

― À quoi sert le sang d'une sorcière en alchimie, mademoiselle Morglas ? insista-t-il.

La jeune femme joignit les mains sous la table, mal-à-l'aise. L'alchimie était un sujet très sensible tant il était varié et pouvait être dangereux pour les humains. Aussi en parler à l'Inquisition était-il quelque chose qu'elle avait évité depuis le début. Elle était prête à tenir Christophe au courant s'il s'était avéré qu'un tel sort au pouvoir destructeur était en préparation, mais elle avait d'abord voulu s'assurer que c'était bel et bien le cas.

Une chose restait sûre, et elle finit par la clarifier :

― Madame Le Gall a dû se blesser en se débattant. La Sorcière n'a pas pris son sang, ça n'aurait aucun sens. Le sang d'une sorcière a l'effet inverse de celui d'un humain : il permet d'augmenter la puissance des sorts, ce qui les rend autrement plus instables et dangereux... Si la Sorcière au Corbeau récolte du sang humain, elle ne s'encombrerait pas du sang d'une sorcière.

Christophe se remit à pianoter sur la table.

― Pourquoi aurait-elle été tuée, alors ? Parce qu'elle était influente ? Les autres victimes ne l'étaient pas, nous avons même rappelé nos hommes en mission d'escorte auprès de la haute société. Je doute également que sa popularité auprès des sorciers soit en cause : ni vous, ni mademoiselle Le Gall n'avez été prises pour cible. Une idée sur la question ?

Magdelaine y avait bien évidemment réfléchi mais l'alchimie étant au cœur de son hypothèse, elle s'était bien gardée d'en parler à l'Inquisition... Le secret étant éventé, elle expliqua dans un soupir :

― Son époux était l'un des sorciers alchimistes les plus reconnus du monde. Peut-être le cherchait-elle pour ses connaissances...

― Monsieur Le Gall est décédé, n'est-ce pas ? demanda Christophe en se remettant à pianoter sur la table.

Magdelaine acquiesça et baissa les yeux.

― L'année dernière. Quelques mois auparavant, il avait commencé à perdre la tête et ne sortait plus beaucoup.

La jeune femme se remémora le visage fermé de son propre père lorsqu'il rentrait d'une visite chez son ami. Les problèmes de santé de ce dernier l'avaient énormément affecté et il avait alors perdu un peu de sa joie de vivre, se renfermant peu à peu sur lui-même jusqu'à son propre décès. L'année précédente n'avait été joyeuse ni pour Lison, ni pour elle.

― Donc la Sorcière arrive chez les Le Gall à la recherche du mari, tue la femme et s'en va... Aurait-elle pu s'adresser à quelqu'un d'autre ici ?

Magdelaine secoua la tête.

― Personne ne peut ne serait-ce qu'oser se comparer à monsieur Le Gall en ce qui concerne l'alchimie. Si la Sorcière désirait s'adresser à lui en premier lieu, c'est que ce qu'elle prépare doit être d'une très grande complexité, auquel cas je doute qu'il existe quiconque dans cette ville à posséder des connaissances suffisantes pour lui être d'aucune aide.

― Nous voici bien avancés... conclut Victor dans un soupir condescendant.

Christophe ne lui adressa pas un regard et se leva.

― Arrêtons-nous là pour aujourd'hui, vous pouvez disposer.

Les chaises raclèrent le sol tandis que leurs occupants se levaient. Magdelaine fit mine de se diriger vers la porte quand Christophe la rappela d'une voix sèche :

― Vous, vous venez avec moi, j'ai à vous parler.

La Malédiction de la Sorcière au Corbeau (50%)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant