Chapitre 11 : Naissance (1/2)

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Magdelaine marchait aussi vite qu'elle le pouvait à travers les innombrables rideaux qui lui barraient le chemin. Le Monde d'En Dessous avait cette fois-ci décidé de se cacher derrière ces étoffes sombres, aux coloris variant du gris anthracite au noir abyssal.

Elle écarta une dernière toile rêche et se retrouva dans la caverne aux milliers de cristaux. Un soupir de soulagement s'échappa de sa gorge. Pourtant, l'espace ouvert qui s'étendait à présent devant elle lui procura un certain malaise après l'environnement précédent, certes opprimant, mais dont l'atmosphère confinée avait un petit quelque chose de rassurant.

Lulu se matérialisa aussitôt devant ses yeux dans un bourdonnement et la jeune femme dut s'arrêter net pour ne pas la heurter.

― Maggie ! Tu repars déjà ? s'enquit-elle.

Le mouvement de ses ailes s'accéléra et elle se posa sur la tête de Magdelaine.

― Tu ne veux pas rester jouer ? Il y a plein de colère et de tristesse, dehors, tu serais mieux ici, la Sorcière ne viendra pas...

― Laisse-la passer, Lulu, elle ne vivrait pas dans le Monde d'Au-Dessus si elle aimait la quiétude et la joie.

La petite fée aux cheveux d'or reprit son envol en grommelant son mécontentement.

― Désolée, je suis pressée... Je reviendrai jouer plus tard, s'excusa Magdelaine.

Elle s'empressa de rejoindre le cercle au centre de la caverne et les deux fées se placèrent chacune d'un côté. Il était impossible pour une sorcière d'activer le cercle de téléportation pour quitter le Monde d'En Dessous. La magie requise pour un déplacement dans cette direction était tout simplement incommensurable. Voici pourquoi, en plus du rôle de gardiennes de la caverne, Lili et Lulu avaient pour mission d'ouvrir le passage vers le monde des Hommes.

Les gravures et symboles s'illuminèrent d'une lueur dorée qui s'intensifia jusqu'à en devenir aveuglante.

― Dis, Lili, ça veut dire quoi, « quiétude » ? demanda Lulu d'une voix curieuse.

Avant qu'elle eût pu entendre la réponse de la fée dorée, Magdelaine se retrouva dans l'arrière-boutique de la cordonnerie.

Elle attendit que Baudouin vienne ouvrir la porte, signifiant ainsi l'absence d'humains dans sa boutique, et se mit en route d'un pas pressé vers l'abbaye. Malgré le malaise que lui procurait encore son dernier échange avec Lison, l'espoir faisait battre son cœur à toute vitesse. Allaient-ils enfin avoir des réponses ?

Un sourire commençait à se dessiner sur son visage quand elle sentit son médaillon chauffer contre sa peau. Son familier se trouvait auprès de Pierre. Ne pouvant fermer les yeux pour les connecter au petit être aqueux, elle se contenta de la voix et de l'ouïe, essayant de bouger les lèvres le moins possible pour ne pas être prise pour une folle par les passants.

― Pierre, est-ce que tout va bien ? s'enquit-elle.

Pendant quelques secondes, aucune voix ne lui parvint. Elle s'apprêtait à réitérer sa question, inquiète, quand Pierre souffla :

― C'est une petite fille, je l'ai dans mes bras, elle dort, elle va bien...

Un sanglot étrangla la fin de sa phrase. À sa voix, pourtant, Magdelaine comprit que ce n'étaient pas des pleurs de joie. La jeune femme eut l'impression que toute la chaleur désertait son corps. Elle s'arrêta au milieu de la rue, s'attirant les regards outrés des passants qui durent l'éviter à la dernière seconde.

― Sa maman est partie... parvint à murmurer son ami avant que sa voix ne se brise.

La détresse de Pierre l'atteignit comme un coup de massue. Les morts en couche n'étaient pas rares, même chez les sorcières. Dans le cas d'un accouchement difficile, les femmes pouvaient se retrouver vidées de magie en plus de force et en succombaient parfois.

Magdelaine chancela un instant avant de se ressaisir. Que pouvait-elle bien dire ?

― Pierre, tu as ta fille dans les bras, finit-elle par déclarer de sa voix la plus assurée. Tu dois être là pour elle, alors retrousse-toi les manches et occupe-toi d'elle. Tu pleureras plus tard.

Elle s'imagina son ami en train d'acquiescer et de s'essuyer les yeux. Quand il reprit la parole, une détermination nouvelle s'y était installée.

― Je vais faire tout ce qui est en mon pouvoir pour elle, assura-t-il.

― Parfait. Je dois me rendre à l'abbaye, les derniers envoyés de Christophe sont de retour. Je passerai après.

― Non, non, c'est inutile, rentre plutôt te reposer, tu travailles tant, s'écria presque Pierre d'une voix pressante. Jeanne et Perrine sont avec moi, ne t'inquiète pas.

Le refus catégorique de son ami la prit de court et la peina grandement. Les jumelles étaient avec lui ? Était-ce pour cela que Jeanne avait abandonné son poste, prétextant être fatiguée ? Pourquoi ne lui avait-elle rien dit ? Pour ne pas la vexer que Pierre eût fait appel à elle et pas à Magdelaine ?

Elle sentit la jalousie poindre mais ne la laissa pas s'installer, se sentant coupable d'y avoir presque succombé. Pierre avait le droit de choisir lesquels de ses amis il voulait avoir auprès de lui en ces moments de joie et de peine. Il ne l'avait sans doute pas contactée car il la savait occupée. À bien y réfléchir, elle-même s'était montrée très distante avec les jumelles et Pierre depuis que la traque de la Sorcière avait commencé. Malgré tout, la façon dont son ami l'avait rejetée lui restait un peu en travers de la gorge. Elle se força à effacer toute acerbité de sa voix et répondit :

― Très bien. Merci pour ta considération. Bon courage à vous tous.

Sur ce, elle fit disparaître son familier et reprit sa route, la tristesse et l'amertume dominant désormais ses pensées.

La Malédiction de la Sorcière au Corbeau (50%)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant