Chapitre 1 : Mission (1/2)

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29 février

À la librairie ce jour-là, l'ambiance était pesante. Le propriétaire, monsieur Landec, cheveux grisonnants et bedaine conséquente, était avachi derrière son comptoir, un livre ouvert devant lui. Son assistante, Magdelaine, rangeait une pile de livres dans les étagères.

Quand elle eut fini son affaire, elle se dirigea vers le maître des lieux dont les yeux immobiles fixaient les pages noircies de texte.

― Si vous n'avez plus besoin de moi, j'y vais, dit-elle.

― Hm, lui répondit l'homme sans lever les yeux.

Magdelaine se dirigea vers les escaliers au fond de la boutique, gravit les marches jusqu'au deuxième étage et ouvrit la porte qui menait à ses appartements. Elle se retrouva dans une petite pièce modestement meublée d'un lit, d'une commode avec une chaise et d'une bassine d'eau.

Elle avança sur le parquet grinçant et s'installa devant la commode, plaça la main sur l'un des tiroirs, l'autre autour de la pierre qui ornait son cou, ferma les yeux un instant et insuffla sa magie dans le bois. Elle tira.

À l'intérieur l'attendait un petit paquet emballé dans une étoffe colorée brodée de fils d'or. Elle le regarda un instant, hypnotisée. Elle savait que ce jour finirait par arriver, mais un peu de répit supplémentaire n'aurait pas été de refus.

Ce matin-là, au terme d'une réunion extraordinaire qui avait rassemblé les plus éminents membres de sa communauté, on lui avait confié le paquet et une mission. Si l'un comme l'autre la terrifiaient énormément, elle n'avait pas d'autre choix que de s'impliquer corps et âme dans sa tâche. Car, fruit du hasard ou du destin, le fléau s'était cette fois-ci invité jusque devant sa porte.

Magdelaine s'arma de cette détermination, plaça le paquet dans sa sacoche, se couvrit d'une cape et redescendit.

La jeune femme passa devant monsieur Landec, toujours plongé dans ses pensées, et sortit dans la rue.

Dehors, le temps était à la pluie. Les nuages noirs défilaient dans le ciel et les bourrasques glaciales annonçaient l'averse à venir. Magdelaine resserra sa cape autour de son cou et rabattit sa capuche sur sa tête pour se protéger du vent. Elle se mit alors en route dans les rues étroites, évitant comme elle le pouvait les flaques de boue et les détritus malodorants. Des croassements la firent tourner la tête. Elle aperçut alors les corbeaux qui festoyaient autour des restes d'un gros rat. Cette vue lui rappela la nuit passée et un frisson lui parcourut l'échine.

Les rues étaient inhabituellement vides pour un jeudi matin et les rares personnes que Magdelaine croisa vaquaient mécaniquement à leurs occupations. Le chapelier installait ses créations sur les tables le long de la rue, parfois à l'endroit, parfois à l'envers, le tisserand ouvrait sa porte en baillant et le forgeron se prit le pied dans la petite marche qui menait à sa boutique. Il se rattrapa au chambranle de la porte en grommelant des jurons.

Visiblement, la nuit n'avait été agréable et reposante pour personne. Magdelaine pressa le pas. Elle le savait, les ennuis ne faisaient que commencer.

Après quelques minutes de marche dans les allées sombres et sinueuses, elle quitta les remparts de la Ville Neuve, parcourut encore quelques dizaines de pieds puis, tournant à droite, se dirigea vers le haut mur d'enceinte de l'abbaye. Elle s'arrêta devant la lourde porte en bois et, un instant, l'angoisse la saisit.

L'abbaye Saint Melaine. Le quartier général de l'ennemi depuis quelques semaines déjà. Qu'allait-il se passer si elle frappait à cette porte ? Quel accueil lui serait-il réservé de l'autre côté ?

Magdelaine posa une main sur sa sacoche. Elle devait le faire. Des vies dépendaient d'elle.

La jeune femme avala difficilement sa salive, avisa le heurtoir et le laissa tomber trois fois contre le panneau de bois.

― Oui ? fit une voix sur sa droite.

Magdelaine sursauta. Elle se dirigea vers la petite porte qui jouxtait la plus grande tout en expirant profondément pour se calmer.

À travers la grille métallique à hauteur de visage qui perçait la porte, elle aperçut la tête d'un homme à l'air sévère. Elle farfouilla dans sa sacoche, les mains tremblantes, pour en sortir le paquet qu'elle y avait placé.

― Je demande audience auprès de l'Inquisition, dit-elle nerveusement tout en déballant ce qu'elle avait apporté.

L'homme la jaugea d'un œil suspect.

Pax in bellum, énonça-t-elle en montrant au garde ce qu'elle avait dans les mains.

La jeune femme sentit des étincelles de magie crépiter tout autour d'elle, puis se fondre dans l'air.

L'homme pinça les lèvres et son visage disparut. Elle entendit le gravier bruisser à mesure qu'il s'éloignait. Quelques minutes plus tard, de nouveaux bruits de pas lui indiquèrent qu'il revenait accompagné. Un cliquetis métallique signala à Magdaleine qu'il déverrouillait la porte et celle-ci s'ouvrit dans un grincement.

La jeune femme pénétra d'un pas décidé dans l'enceinte sacrée tout en baissant la capuche de sa cape et la porte se referma dans un claquement sec derrière elle.

Elle se trouvait dans une immense cour de gravier blanc soigneusement entretenue. Devant elle se dressait le clocher de la basilique, une tour carrée haute de plusieurs dizaines de pieds en pierre sculptée. Sur sa gauche, derrière le mur d'enceinte, elle apercevait d'autres bâtiments faits du même matériau et sur sa droite, la cime d'arbres fruitiers.

Magdelaine s'arracha à ses observations et baissa les yeux sur le nouveau venu qui lui faisait face, les bras derrière le dos.

Grand, la tête recouverte d'une perruque blanche soyeuse, les yeux bleus et pétillants, les traits fins, il était jeune, très jeune pour les décorations et grades qu'elle distinguait sur son uniforme bleu et rouge. Elle dut bien l'avouer malgré le malaise que sa tenue lui procurait, il était très élégant.

Il s'arrêta à deux pas d'elle et la salua d'un léger signe de tête.

― Je suis le Premier Dévot Christophe de la Rabière, chef de l'Inquisition de cet archidiocèse, nommé par Son Éminence le cardinal de Noailles au nom de Sa Sainteté le pape Clément.

― Magdelaine Morglas, enchantée, se présenta la jeune femme en lui retournant son salut.

L'homme lui adressa un sourire et étendit un bras en direction de l'un des bâtiments en pierre sur la gauche. Il approcha son autre main de l'épaule de Magdelaine pour l'inviter à le suivre, laquelle s'exécuta sans protester. Le garde les regarda s'éloigner sans quitter la jeune femme de ses yeux méfiants.

La Malédiction de la Sorcière au Corbeau (50%)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant