Magdelaine et Christophe marchaient entre les rangées d'arbres fruitiers en fleurs. Les abeilles passaient de l'un à l'autre, les oiseaux, perchés dans leurs branches, profitaient de leur ombrage en sifflotant quelques notes. Le temps était clément en ce jour de mai et la température plutôt agréable. Au loin, elle aperçut des rangées de haies bien entretenues d'où dépassait un autre verger. Elle savait celui-ci hors d'atteinte car interdit aux femmes. Sa présence dans cette première enceinte avait déjà fait lever plus d'un sourcil chez les moines de l'abbaye, mais elle n'y avait prêté que peu d'attention, considérant les regards outrés avec insolence et défi.
Cependant, lorsqu'ils avaient traversé la cour s'étendant devant la tour carrée de la basilique, Magdelaine ayant proposé de sortir pour poursuivre la conversation, elle n'avait pas été seule cible de l'acerbité des hommes, et en particulier de celles des inquisiteurs.
Les morts s'accumulant, le moral avait fortement baissé chez tous les êtres, humains comme sorcières, impliqués dans la traque de la Sorcière. Nuit et jour, ils sillonnaient les rues, guettant le moindre signe de rassemblement de corbeaux ou de la Sorcière, réagissant sur le champ le cas échéant. Pourtant, ils arrivaient toujours trop tard sur les lieux. La Sorcière se volatilisait sitôt son acte morbide achevé.
Le désespoir s'installant dans les rangs de l'alliance, les tensions n'avaient fait que s'accentuer, au point que Magdelaine s'attendait à tout instant à être attaquée comme au premier jour, avec cette fois-ci l'intention de la tuer. D'autant que le coupable courait toujours, sa recherche ayant rapidement été reléguée au second rang.
Au sein de l'Inquisition, l'envie de s'en prendre aux sorcières et de les blâmer pour ce qui arrivait s'était imposé comme une évidence dans l'esprit de bon nombre de ses membres. Or, celui qui s'était dressé entre eux et la cible de leur haine, c'était Christophe. Ce dernier avait strictement interdit toute violence non justifiée contre les sorcières alliées et, selon lui, l'intangibilité de la Sorcière au Corbeau n'était pas une raison suffisante pour s'en prendre aux membres de la communauté magique, pour le plus grand malheur de certains qui se seraient bien calmés les nerfs sur ce qu'ils avaient à porter de main. Accusé derrière son dos de comploter avec les suppôts du Malin, la considération que lui portaient ses subordonnées n'avait fait que péricliter depuis plusieurs semaines.
Magdelaine commençait à s'en vouloir. Elle avait été à l'origine de cette alliance avec l'Inquisition, mais quels bénéfices cette dernière avait-elle bien pu leur apporter à tous ? Avait-elle mis Christophe dans une position délicate avec ses subordonnés pour ne parvenir à rien au final ? Il ne le montrait pas et ne l'aurait avoué pour rien au monde, mais elle sentait que cette animosité lui pesait et cela la peinait.
Pourtant, après des mois de recherches, ils ne pouvaient rien faire d'autre que chasser un fantôme, une ombre insaisissable et invisible, ensanglantée. Elle cherchait à se consoler en se disant que la Bibliothèque était immense et qu'il restait quelque part en son sein des ouvrages prometteurs sur lesquels ils n'avaient pas encore mis la main, mais l'impatience ainsi que la terreur n'étaient jamais très loin dans son esprit. Et si ces millions de livres ne contenaient rien d'utile ? Et si toutes ces recherches avaient été vaines ? Et si elle terminait comme ces malheureux, abattue par une souffrance telle qu'elle serait encore visible sur son visage une fois son âme partie vers l'Éther, jusqu'à la disparition de son corps ?
Absorbée dans ses pensées, elle ne remarqua pas tout de suite que Christophe s'était immobilisé.
― Pourquoi ne m'avez-vous rien dit ? finit-il par demander.
Comme s'en doutait Magdelaine, l'inquisiteur lui en voulait d'avoir gardé le silence concernant l'alchimie. Elle avait profité du court trajet jusqu'au verger pour mettre de l'ordre dans ses pensées et attendu que Christophe entame la conversation, espérant au fond d'elle qu'il abandonnât ou parlât finalement d'autre chose.
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La Malédiction de la Sorcière au Corbeau (50%)
Fantasi⚠️ 𝐒𝐞𝐮𝐥𝐞 𝐥𝐚 𝐩𝐫𝐞𝐦𝐢𝐞̀𝐫𝐞 𝐦𝐨𝐢𝐭𝐢𝐞́ 𝐝𝐮 𝐫𝐨𝐦𝐚𝐧 𝐞𝐬𝐭 𝐝𝐢𝐬𝐩𝐨𝐧𝐢𝐛𝐥𝐞 Royaume de France, début du XVIIIe siècle. Lorsque la redoutable Sorcière au Corbeau s'éveille après plusieurs décennies de sommeil, Magdelaine Morglas, d...