Chapitre 1 : Mission (2/2)

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Ils empruntèrent l'un des passages perçant le mur d'enceinte et se retrouvèrent face à une bâtisse imposante comme Magdelaine en avait rarement vu. Toute en pierre, elle était dotée à intervalles réguliers de grandes fenêtres. De la toiture d'ardoises dépassaient les souches de plusieurs cheminées et il ne faisait aucun doute que par temps ensoleillé, le faîtage sculpté brillait de mille feux.

L'inquisiteur gravit les marches menant à la somptueuse porte principale et l'ouvrit. Il fit signe à Magdelaine d'entrer puis referma derrière elle.

Ils se trouvaient dans une pièce lumineuse richement décorée. Les meubles en bois précieux étaient vierges de poussière et surmontés de crucifix et autres objets à caractère religieux.

Magdelaine se sentait mal-à-l'aise. Elle ne savait pas vraiment où poser les yeux et décida de reporter toute son attention sur l'inquisiteur qui se dirigeait déjà vers une autre pièce sans faire cas de sa stupeur.

La jeune femme le suivit en accélérant le pas et déboucha sur une immense salle de réception au centre de laquelle trônait une table aux dimensions formidables.

Un homme se trouvait déjà là, assis sur une chaise à l'autre bout de la pièce. Il était âgé d'une soixantaine d'années environ, ses cheveux blancs mi-longs soigneusement peignés et entretenus encadraient des joues généreuses. Il était vêtu de la tenue noire des ecclésiastiques et redressait régulièrement sur son nez de petites lunettes rondes d'un doigt nerveux. Quand il les vit entrer, il se leva aussitôt avec angoisse et s'avança vers eux. Il prit la main de Magdelaine et y déposa un baiser courtois. L'inquisiteur à côté de lui détourna le regard.

― Enchanté de vous rencontrer, chère demoiselle. Je suis le père Claude, je suis plus ou moins en charge de ce lieu en l'absence de notre abbé. Merci d'avoir fait le déplacement.

― Magdelaine Morglas, enchantée, répéta la jeune femme.

Les yeux du prêtre passèrent ensuite tour à tour de l'inquisiteur à Magdelaine, attendant visiblement que l'un des deux prenne la parole.

― Alors ? finit-il par demander. Est-ce vrai ?

La jeune femme sortit l'objet qu'elle avait apporté et le déposa sur la table.

Il s'agissait d'un collier en or massif dont le pendentif, de forme ronde et de diamètre imposant, présentait un corbeau finement sculpté surmonté des mots « corvus ignis ». L'objet en lui-même aurait suffi à faire tourner la tête du premier venu, mais ce qui retint davantage l'attention des trois personnes présentes dans la pièce, ce fut l'œil de rubis de la créature qui brillait d'une lueur funeste.

La jeune femme l'avait déjà vu le matin même. Malgré tout, son cœur se serra quand ses yeux se posèrent à nouveau sur le médaillon. Le prêtre passa une main tremblante sur son visage tandis que l'inquisiteur observait l'objet d'un œil sévère.

Magdelaine tendit la main et récupéra l'objet qu'elle replaça dans sa sacoche.

― La Sorcière au Corbeau s'est éveillée, confirma-t-elle.

L'inquisiteur ne l'écoutait pas. Une main posée sur le menton, il était plongé dans ses pensées. Quand il en sortit enfin, son air grave était empreint de détermination. Il s'adressa au prêtre.

― Mon père, rassemblez ici les Seconds Dévots, nous allons tenir un chapitre extraordinaire afin d'examiner la marche à suivre. Mademoiselle Morglas, merci pour cette confirmation. Quelqu'un vous raccompagnera à la porte. Je vous souhaite bon courage également de votre côté.

Magdelaine leva une main pour l'arrêter.

― Il y a erreur, je ne suis pas uniquement ici en tant que messagère. L'Assemblée m'a chargée de servir d'intermédiaire.

L'inquisiteur se figea, surpris.

― D'intermédiaire ? Entre l'Assemblée et l'Inquisition ? Que sous-entendez-vous, que nous nous alliions ?

Magdelaine acquiesça.

― L'idée est de moi, avoua-t-elle. La Sorcière Primordiale du feu a déjà fait d'innombrables victimes par le passé et aucun de nos deux camps n'est jamais parvenu à l'arrêter. Peut-être devrions-nous laisser de côté nos querelles pour travailler main dans la main ? Faire de pax in bellum plus qu'un simple pacte de non-agression ?

L'inquisiteur acquiesça.

― Nul n'a oublié ce qui est arrivé à Londres la dernière fois. Nous ne laisserons pas une telle catastrophe se produire ici. Mon père, faites vite. Mademoiselle, je vous en prie, installez-vous.

Le père Claude quitta la pièce en trombe pendant que l'inquisiteur tirait une chaise pour Magdelaine et s'asseyait à côté.

― Alors, dites-moi, comment se fait-il qu'une femme aussi jeune que vous soit chargée d'une telle mission ? demanda-t-il en la contemplant.

Magdelaine, gênée, baissa les yeux et referma la main sur sa sacoche.

― C'est le devoir de ma famille de protéger le médaillon ignis lorsque la Sorcière au Corbeau est parmi nous, expliqua-t-elle.

― J'ai pourtant ouï-dire qu'il avait passé plusieurs années en possession de l'Église...

Magdelaine acquiesça.

― Cela s'est effectivement produit par le passé. Mais les vôtres ont cessé de le réclamer il y a de nombreuses années. Peut-être sont-ils arrivés à la décision qu'il était en de meilleures mains parmi nous ?

Christophe sourit. Il l'observa ensuite quelques minutes avant de reprendre la parole.

― Sorcière de l'eau ? La couleur de vos yeux laisse peu de place au doute.

― Oui...

Magdelaine baissa les yeux sur ses genoux, essayant de se faire encore moins menaçante qu'elle ne l'était déjà. Elle ne s'attendait pas à ce que l'inquisiteur aborde le sujet aussi ouvertement et l'inquiétude la saisit.

― Je vous sens tendue. Vous n'avez pas à avoir peur de moi, je ne vous ferai pas de mal. Je ne suis pas de cette Inquisition.

La jeune femme arbora un sourire embarrassé. Elle desserra légèrement ses doigts qui s'agrippaient à sa sacoche. Le sang recolora peu à peu ses phalanges devenues blanches.

L'homme n'était peut-être pas de cette Inquisition qui torturait et condamnait à mort pour un oui ou pour un non, mais il n'en restait pas moins un inquisiteur, un de ceux qu'on lui avait dit de fuir comme la peste.

Des bruits de pas pressés se firent alors entendre derrière l'élégante porte de la salle et celle-ci s'ouvrit à la volée, laissant entrer le père Claude suivi d'un moine maigrichon tenant à bras le corps des feuilles, une plume et un petit encrier ainsi que nombre d'hommes vêtus du même uniforme que Christophe. Quand ils virent Magdelaine, ils s'immobilisèrent.

― Sorcière ! hurla l'un d'eux en portant la main à sa ceinture.

La jeune femme eut un mouvement de recul avant de se rendre compte qu'il n'était pas armé. Aucun ne l'était, ne s'attendant sans doute pas à une attaque dans leur propre quartier général.

Un autre homme, perruque noire et moustache soigneusement taillée, posa une main sur l'épaule de son collègue.

― Allons, Victor, le Premier Dévot est à ses côtés, sa présence n'est pas due au hasard. Je suis persuadé que nous obtiendrons une explication décente.

Christophe se leva et désigna les chaises vides d'un ample geste du bras.

― Asseyez-vous sans tarder, mes amis, nous avons à parler.

La Malédiction de la Sorcière au Corbeau (50%)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant