Chapitre 7 : Enfiellé (1/3)

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16 avril

― Peut-être la Sorcière au Corbeau n'existe-t-elle pas... Peut-être la première victime s'est-elle tuée elle-même en voulant allumer le feu dans sa cheminée avec sa magie...

― Madame Le Gall était une sorcière de la terre, elle n'aurait pas pu allumer de feu avec sa magie.

― Je le sais bien. Mais il ne s'est rien passé depuis et nous ne trouvons strictement rien sur cette abomination dans nos archives... Avouez que vous commencez également à douter, Magdelaine...

La jeune femme soupira et fixa la lune qui éclairait par derrière la tour de l'horloge. L'édifice, véritable patchwork d'époques et de modes de construction, avait sous cet angle et à cette heure une apparence sinistre. Ses premiers étages en pierre faisaient place aux élévations en bois de plus en plus étroites pour n'être plus qu'à peine assez large pour contenir Madame Françoise, à savoir la cloche la plus bruyante qui lui avait été donné d'entendre, heureusement silencieuse à cette heure de la nuit. Elle contempla la tour quelques instants, toujours aussi fascinée par son étrangeté, avant de reporter son attention sur l'inquisiteur à côté d'elle, lasse et fatiguée.

― Écoutez, Christophe, nous sommes ici ce soir pour patrouiller, pas pour nous appesantir sur une absence d'événements qui n'est en elle-même pas une mauvaise chose. Vos envoyés à Paris, Londres et Rome devraient nous revenir très bientôt et je suis persuadée que les archives auxquelles ils auront pu accéder, et en particulier celles du Vatican, sont mieux fournies que les vôtres concernant ce fléau de l'Église. En attendant, nous nous devons de protéger au mieux la population. Notre présence est peut-être la raison pour laquelle elle n'agit pas, qu'en savez-vous ?

La remontrance sembla irriter l'inquisiteur qui la fusilla du regard, mais cela ne suffit pas à le remotiver. Il s'appuya contre le mur d'une maison bordant la place où ils se trouvaient, les bras croisés.

― Ce que j'en sais, c'est que même vos archives ne nous ont apporté aucune information utile, pas plus que l'étude des documents de madame Le Gall. Les personnages influents que nous protégeons en réponse à ce premier meurtre commencent à se lasser de notre présence. Saviez-vous que le miseur a congédié ce matin l'escorte que nous lui avions attribuée ?

Magdelaine tourna vers lui des yeux étonnés.

― Vraiment ? Après nous avoir tant suppliés de le protéger ?

Christophe soupira à son tour.

― Tout le monde commence à douter. Ils pensent que c'était une fausse alarme ou que la Sorcière a quitté la ville. Ce que j'ai dit à voix haute à l'instant, ils le murmurent tous dans notre dos.

Magdelaine posa une main sur la sacoche qu'elle portait en permanence sur elle depuis ce fameux matin de février. À l'intérieur, l'œil du corbeau doré brillait toujours, lui rappelant chaque jour que la menace était bel et bien présente.

― Peut-être que nous perdons notre temps, effectivement, mais s'il s'avère qu'elle n'est pas partie et qu'elle décide de frapper, nous restons prêts, rétorqua Magdelaine.

― Comme j'aimerais partager votre motivation, la taquina l'inquisiteur. Si seulement nous avions plus d'informations... J'ai l'impression de naviguer dans le brouillard, d'avancer... que dis-je, de reculer à tâtons.

Sentant sa frustration et sa colère, la jeune femme fit mine de poser une main sur l'épaule de Christophe. Elle se ravisa avant d'avoir achevé son geste et ramena son bras le long de son corps. L'inquisiteur ne sembla pas avoir remarqué le mouvement de Magdelaine et reprit, tournant les yeux vers elle :

― Quoi qu'il en soit, toute l'Église est prévenue et j'ai personnellement envoyé des hommes avertir les curés des paroisses avoisinantes. Ils ouvrent l'œil et nous tiendront au courant en cas de mort suspecte parmi leurs paroissiens.

La jeune femme lui sourit en tentant de cacher son embarras. Qu'est-ce qui lui avait pris ? Après tout ce temps passé avec lui, elle avait bien compris que Christophe refusait tout contact physique avec les sorcières et les sorciers. En un accès de sentimentalisme, elle avait été à deux doigts de ruiner la confiance mutuelle qu'ils avaient peu à peu construite au cours de leurs longues heures de travail en commun.

L'inquisiteur lui tourna le dos, ignorant son trouble, et reprit sa marche tout en passant une main dans ses mèches blondes, signe de son énervement. Lors de leur première patrouille ensemble, Magdelaine avait failli ne pas le reconnaître quand il s'était présenté à elle sans perruque et en tenue plus modeste qu'à l'accoutumée. Selon ses dires, cet accoutrement était plus pratique pour se battre. Il portait à cet effet une imposante épée à la ceinture ainsi qu'un pistolet.

La jeune femme s'apprêtait à le suivre quand un battement d'ailes attira son attention. Elle leva les yeux et aperçut un oiseau quittant un toit et prenant la direction du sud-est. Le croassement qu'il poussa alors fit tourner la tête à Christophe.

Le duo se regarda un instant. Il pouvait très bien s'agir d'un corbeau isolé. Ou bien...

Un deuxième cri lui répondit, plus éloigné, suivi d'un troisième.

Christophe et Magdelaine se mirent à courir, veillant comme ils le pouvaient à ne pas se prendre les pieds dans les pavés inégaux. Les croassements se faisaient plus nombreux à mesure qu'ils avançaient.

Gauche. Droite. Gauche à nouveau. Devant eux arrivait une autre équipe. De loin, Magdelaine reconnut le Second Dévot Victor de Brie en uniforme complet et Jeanne, essoufflée, se tenant les côtes d'une main.

Grâce au soutien des Le Gall, il avait été possible de créer des équipes mixtes inquisiteur-sorcière pour les patrouilles. Jeanne avait malheureusement joué de malchance et devait désormais composer avec l'antipathie de son coéquipier.

Quand ils se retrouvèrent au même niveau, Victor hurla :

― Où est-elle ? Vous l'avez vue ? Les corbeaux...

Ils se rendirent alors compte que la nuit était à nouveau plongée dans le silence. Les corbeaux s'étaient tus.

La Malédiction de la Sorcière au Corbeau (50%)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant