Chapitre 11 : Naissance (2/2)

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― Rien ? Comment cela, rien ?

Magdelaine n'en croyait pas ses oreilles. Elle regarda interdite les deux envoyés qui se tenaient devant elle, penauds. Christophe faisait les cent pas dans les graviers de la cour, sa colère perceptible à plusieurs pieds autour de lui.

― En ce qui me concerne, j'ai cherché mais... grommela l'un d'eux.

L'autre le fusilla du regard.

― Ne sous-entendez pas que je n'ai rien fait ! s'écria-t-il.

― N'étiez-vous pas censé vous rendre à Rome ? Comment cela se fait-il que je vous aie retrouvé à Paris ?

― Je suis bel et bien allé jusqu'à Rome !

― Dites-moi, monsieur, avez-vous eu le temps d'effectuer les recherches que nous vous avions demandées avant de faire un crochet par Paris ? fulmina Christophe.

L'homme parut soudain très confus.

― J'ai été ensorcelé ! Quand je suis arrivé au Vatican et que j'ai entamé les recherches, j'ai tout à coup oublié pourquoi je me trouvais là ! protesta-t-il avant de se tourner vers son collègue. Et vous, que faisiez-vous dans ce lupanar dont je vous ai vu sortir à Paris ? Je ne pense pas que les recherches sur la Sorcière au Corbeau impliquent une étude du sexe faible, me trompé-je ?

L'envoyé à Paris rougit, à la fois de honte et de rage, avant de pointer Magdelaine du doigt.

― Sorcellerie ! Vous nous avez jeté un sort pour nous détourner de notre mission !

La jeune femme écarquilla les yeux, outrée. Tout autour d'eux, inquisiteurs et sorcières s'étaient amassés, d'abord impatients d'entendre de bonnes nouvelles, puis désespérés. Enfin, du côté des hommes vêtus de rouge et bleu, les regards se firent suspicieux. Magdelaine s'apprêta à prendre la parole pour tenter de sauver la situation, mais Christophe la prit de court :

― Il suffit ! Ne blâmez pas nos alliés pour votre incompétence ! Disparaissez, je ne veux plus vous voir ! Tous !

Les inquisiteurs se jetèrent des regards surpris et, à la grande inquiétude de Magdelaine, tout aussi entendus et dédaigneux. Du côté des sorcières, le désespoir et la colère dominaient. Christophe avait-il envenimé la situation en souhaitant mettre un terme à la discussion plutôt qu'en la laissant défendre les siens ? Ou sa décision avait-elle prévenu plus de malentendus ? Les messes basses qui se formaient à présent dans la foule en dispersion ne lui plaisaient décidément pas. D'autant que les regards fuyants semblaient être principalement dirigés sur Christophe et elle.

Magdelaine décida de mettre cette observation sur le compte d'une paranoïa dûe à la fatigue et reporta ses pensées sur un point qui l'avait interpellée : le sort dont les deux envoyés s'étaient dits victimes.

Christophe lui fit signe de le suivre et se dirigea vers la maison de l'abbé. Une fois dans la salle habituelle, il laissa échapper sa colère de la manière habituelle en écrasant son poing sur la table.

Magdelaine resta silencieuse, consciente que rien de ce qu'elle pourrait lui dire n'aurait le pouvoir de le calmer. Elle regarda le poing toujours serré de l'inquisiteur et ses phalanges qui commençaient à blanchir. Il ouvrit enfin les doigts et les posa à plat sur la table.

Le cœur de Magdelaine se serra quand elle distingua le léger tremblement qui agitèrent ses mains au cours de ce mouvement. Elle eut envie de les prendre dans les siennes, de lever des yeux rassurants vers lui et de lui dire que tout irait bien, qu'ils y arriveraient, ensemble.

Elle resta immobile. La vérité, c'était qu'elle se sentait aussi désespérée que lui. Ils avaient basé beaucoup d'espoir sur ces deux envoyés et maintenant, le seul qu'il leur restait résidait dans les Archives de l'Assemblée. Or, ils atteignaient à présent le dernier étage de ces dernières, qui n'étaient somme toute pas infinies, et n'avaient toujours rien trouvé d'utile. Elle garda cette information pour elle, ne souhaitant pas le démoraliser davantage.

Enfin, Christophe expira un grand coup, se passa les mains sur le visage et ôta sa perruque. Il glissa ses doigts entre ses mèches blondes et s'enquit d'une voix plus assurée que ne le laissaient deviner ses yeux :

― Quel sortilège a bien pu les atteindre ? En avez-vous la moindre idée ? C'était de l'alchimie, c'est bien cela ?

Comme elle s'en doutait, Christophe n'avait pas dit le fond de sa pensée quand il avait traité ses subordonnés d'incompétents.

― Je ne vois que cette possibilité. Seulement, un sortilège de ce niveau n'est pas à la portée de tout le monde. Moi-même, je ne pourrais le réaliser.

― Avez-vous quelqu'un en tête ? Votre amie la spécialiste, peut-être ?

Magdelaine secoua la tête, passant sous silence le fait qu'il soupçonnât ainsi sa meilleure amie.

― Le pouvoir de Lison est bien insuffisant pour ce genre de magie.

― Et avec du sang ? Celui de sa mère, par exemple ?

La jeune femme ouvrit de grands yeux, ne pouvant tolérer davantage les insinuations de Christophe. Elle serra les dents et décida de ne pas laisser ses émotions parler, s'en tenant aux faits.

― Personne ne me vient à l'esprit. Et je ne m'y connais peut-être pas en alchimie du sang, mais je suis persuadée que même en utilisant celui d'une sorcière puissante comme l'était sa mère, une telle prouesse aurait été impossible pour Lison. Toucher deux personnes hors de portée et leur faire oublier leur mission première, celle qui occupait toutes leurs pensées, nécessiterait une puissance incommensurable que même moi, je ne possède pas.

Christophe souffla par le nez, ses lèvres se tordant en un sourire ironique.

― Vous semblez avoir toute confiance en vos capacités...

Magdelaine serra sa robe de ses doigts, nerveuse. Elle avait décidé de ne plus rien lui cacher, alors elle se lança :

― Je suis membre de l'Assemblée, souffla-t-elle.

La réaction de Christophe ne fut pas celle à laquelle elle s'attendait. De fait, il ne réagit pas. Il la fixa de ses yeux vides d'émotions et répondit :

― Oh, vraiment ? Sacré exploit.

Magdelaine resta interdite quelques instants puis ouvrit la bouche sans trop savoir quoi répondre. Puis les mots se précipitèrent dans son esprit, prêts à franchir de ses lèvres. Elle voulut tout lui raconter : la mort de son père, comment elle s'était retrouvée à siéger parmi les cent sorcières les plus puissantes du monde, les difficultés qu'elle rencontrait depuis... Elle voulait qu'il sache, elle voulait qu'il écoute, elle voulait qu'il la rassure, qu'il lui parle de lui, de ses propres expériences en tant que chef de l'Inquisition malgré son jeune âge. Lui la comprendrait. Elle voulait le voir sourire, passer ses doigts dans ses cheveux d'or tandis qu'il réfléchissait, la fixer de ses yeux bleus. Avant qu'elle eût pu organiser ses pensées, Christophe prit sa perruque puis contourna la sorcière pour se diriger vers la porte.

― Je suis fatigué, je vais me reposer. Bonne journée.

Il sortit de la pièce sans lui adresser un regard supplémentaire.

D'abord déçue, Magdelaine se donna de petites tapes sur les joues pour se ressaisir. Elle regarda quelques instants les escaliers où Christophe avait disparu, se demandant ce qui lui avait pris. Mal-à-l'aise, elle examina les différentes options qui se présentaient désormais à elle et opta pour un retour à la Bibliothèque. Il lui tardait de retrouver Lison et de lui parler, de lui raconter tout ce qui lui pesait sur le cœur. Malgré leur petit différent, elle l'écouterait, elle le savait. Ce jour-là, elle ne voulait pas être seule.

La Malédiction de la Sorcière au Corbeau (50%)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant