Ne rien regretter

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J'ai cogité durant trois jours. Enfin, j'ai essayé. Je suis restée cloitrée dans ma chambre pour la simple et bonne raison que j'ai envoyé promener ma mère en lui demandant de ne plus se mêler de mes affaires. Puis, dans mon élan, j'ai viré deux de mes trois assistantes dont cette petite garce de Clara. Non contente de me mentir depuis des années, j'ai appris qu'elle montait sa propre boite en essayant de débaucher mes employés et mes mannequins. Comme je suis rancunière, vous pensez bien que je ne l'ai pas ratée ! Résultat : elle se retrouve avec un procès sur les bras. C'est ce qui arrive quand on joue avec le feu et accessoirement avec la loi.


Du côté de ma famille, je crois que la rupture est consommée. Les explications par téléphone quand on se trouve à dix mille kilomètres c'est un peu foireux mais au moins l'abcès a été crevé. Et bien crevé ! Je peux vous dire que ça fait mal de se rendre compte, après toutes ces années, qu'on est entouré de faux jetons.

Adrien avait raison : je suis trop naïve et j'accorde trop facilement ma confiance aux autres.

Enfin, ça...c'était la Naïs d'avant l'île Maurice.

Maintenant....

Je contemple l'Océan depuis mon transat : en fait, on n'est pas si mal ici. C'est certain que ça me change de mon immeuble parisien. C'est bizarre mais les paroles d'Adrien n'ont cessé de me tourmenter : c'est quand même très courageux de sa part de tout plaquer pour partir à l'autre bout de la planète et repartir de zéro.

Et si finalement c'est ce dont j'avais besoin ?

On est bien d'accord que je peux oublier mon ancienne vie. Enfin, il faut d'abord que je liquide l'agence, les derniers contrats en cours, trouver un acheteur pour les bureaux et bien sûr, publier ce foutu communiqué de presse. Mais ensuite ?

J'avoue que cela m'angoisse. J'ai toujours tout planifié dans ma vie : mes études, mon indépendance, l'évolution de ma carrière...Et là, et bien je ne sais pas, je ne sais plus. J'ai toujours évolué dans le même milieu, je ne connais rien d'autre et je déteste me lancer dans un projet lorsque je ne maîtrise pas au minimum la situation à cent pour cent.


— Et bien, quel regard sévère !


Je sursaute sur mon transat et je me tourne vers l'imprudent qui a failli me causer une crise cardiaque. Je suis surprise de découvrir Adrien en tenue de sport. Il me fait un grand sourire mais moi, je garde un air contrarié :

— Je crois que j'ai assez de merdes comme ça à gérer pour, qu'en plus, vous m'envoyez à l'hôpital ! Quelle idée de me surprendre de la sorte !

— Ouh, vous vous êtes levée du mauvais pied on dirait. Oh, pardon, je ne voulais pas...


Son embarras me fait esquisser un sourire :

— Ça va, ce n'est pas comme si j'étais à l'article de la mort ! Dites, vous ne devriez pas être dans votre école ?

— Nous avons quelques soucis techniques : les bâtiments sont fermés pour dix jours afin de pouvoir réaliser quelques travaux. Les enfants se rendent dans un autre établissement et moi...je me retrouve au chômage technique. Avez-vous réfléchi à ma proposition Naïs ?


J'hésite quelques instants puis je lui explique mon côté « maniaque de l'organisation » et mes craintes de plonger dans un monde inconnu. J'apprécie qu'Adrien ne pose aucun jugement, au contraire, mon monologue le rend enthousiaste :

— Alors c'est parfait !

— Hein ?

— Vous mourrez d'envie de changer d'air cela se sent. C'est normal d'avoir peur. Mais si vous n'osez pas vous lancer, vous risquez de le regretter plus tard. Tenez, ma mère a travaillé vingt ans comme infirmière, parce que ma grand-mère souhaitait qu'elle suive la même voie qu'elle. Elle n'a pas osé s'opposer à cette décision et elle n'a jamais réussi à s'épanouir dans son boulot. Elle est décoratrice d'intérieur maintenant et elle rayonne. Elle a hésité longtemps puis, elle a décidé qu'elle était seule maîtresse de sa vie et de ses choix. Il y a eu des protestations et des remarques acerbes de plusieurs membres de ma famille mais elle a tenu bon.

— Vous avez raison, je ne veux rien regretter. J'ai déjà le sentiment d'avoir gâché une grande partie de ma vie, je pense que cela suffit maintenant. C'est totalement dingue mais je crois que je vais accepter votre proposition. Il faut juste que je me dégote un nouveau bureau.

— Pas nécessairement. Rien ne vous empêche de travailler depuis votre domicile. Mon association n'a pas de bureau à proprement parler. Je gère tout de chez moi, tout comme les personnes qui travaillent avec moi. Maintenant, vous avez le choix : soit vous agissez en tant que bénévole, soit je vous propose un contrat. Mais dans ce cas, je ne peux pas vous offrir un salaire mirobolant. Je vais vous apporter le dossier de présentation ainsi qu'un exemplaire de contrat. Je ne veux pas que vous me donniez votre répondre dans l'immédiat. Vous pouvez même attendre de rentrer en France. Je préfère que vous preniez bien le temps d'analyser votre situation. Bon, je vais vous laisser.


Prise d'une inspiration soudaine, je lui propose de me rejoindre ce soir au bar de la plage afin de prendre un verre. J'ai besoin d'en savoir plus à son sujet, sur son association, sur son travail. Adrien a beau sembler quelqu'un de franc et honnête, les dernières révélations au sujet de mon entourage et de mes employés m'incitent à la prudence. Et puis, j'aimerais bien savoir pourquoi il tient tant que cela à m'aider. C'est vrai, il aurait pu me laisser me démerder, se réjouir de mes problèmes.

Et si son offre cachait un objectif nettement moins amical et charitable ?


Sans entrer dans les détails, je lui fais donc part de mon offre. Il me dévisage, surpris, mais fini par accepter. Nous convenons de nous retrouver vers 17h30 face à l'Océan. Dit comme ça, cela a tout l'air d'un rendez-vous galant. C'est pourquoi je m'empresse d'ajouter que je souhaite faire plus ample connaissance dans le cadre de ma possible arrivée dans son association. Il ne manquerait plus qu'Adrien s'imagine des choses inexactes à mon sujet. Ma réputation professionnelle est déjà morte et enterrée, il ne faudrait pas, en plus, que l'on me taxe de femme aux mœurs légères !


Bizarrement, après le départ d'Adrien, je me sens seule.

Je décide, pour passer le temps, de me rendre à la piscine. Bien aidée par mes béquilles, je marche avec précaution pour ne pas risquer un nouvel accident.

Pendant plus d'une heure, je contemple les jeux de plusieurs enfants avec leurs parents et je me prends une véritable gifle en pleine figure. Je me rends compte que je suis seule dans ma vie, que j'ai délaissé ma vie sociale et amoureuse au profit de mon boulot.

Assise sur mon transat, je jette un regard autour de moi : je suis la seule à ne pas être accompagnée.

Je prends alors la décision qu'à mon retour en France, je vais m'accorder plus de temps pour moi, des sorties au cinéma ou des musées, reprendre contact avec des amies de l'école, et surtout, faire le tri dans mes contacts Facebook.

Oui, à la fin de ces vacances, c'est une Naïs métamorphosée qui va débuter une nouvelle vie.



Je déteste le sable, je déteste la mer...et les cartes postales !Où les histoires vivent. Découvrez maintenant