Règlement de compte à OK Corral (2ème partie)

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Nouvelle pause. Je jette un regard discret vers la famille. Le père ne rigole pas du tout. À mon avis, il est en train de poser le pour et le contre d'une réplique cinglante. Je crois qu'il aurait pu passer outre si la vieille n'avait pas entamé un long chapitre sur les Mauriciens.

D'une voix aigre et toujours plus sonore, elle déclare :

— Quant à ta légende sur la chaleur des habitants, n'en parlons même pas ! Aimables, eux ? Bah voyons ! En plus, tous ces rabatteurs à Port Louis qui nous accostaient, ils ne pouvaient pas nous laisser tranquilles ? Sans parler de leurs boutiques où le prix est à la tête du client. Ils ne veulent que nous pomper le plus de fric possible. Tu peux inventer tout ce que tu veux, ce voyage est gâché.


Un silence de plomb tombe sur l'assistance.

Pour peu, je me croirais dans un western, façon Règlements de comptes à OK Corral, lors de l'inévitable scène de duel. Une tumbleweed traverse une rue déserte. Des cowboys, immobiles, jambes légèrement écartées, se font face. Chapeau bien enfoncé sur le crâne, regard tendu et la main sur la détente du revolver, prête à dégainer. La poussière vole autour d'eux et une musique épique nous annonce l'imminence de la confrontation.


Un crissement de chaise alerte mon attention : le père de famille s'est levé, prêt à charger tel un bison en furie. Les serveurs, comprenant qu'une sérieuse bagarre est sur le point d'éclater s'avancent vers lui pour l'empêcher d'avancer vers le couple de retraités. Ces derniers finissent par réaliser que tout le monde les regarde. La femme remarque alors le regard assassin de l'autre client et lui lance :

— Un problème jeune homme ?


Je suis contente d'être dans mon petit coin parce ce que je me demande si des assiettes ne vont pas finir par valser dans tous les sens. L'interpellé écarte gentiment un serveur pour se poster devant son adversaire :

— Ma femme est d'origine mauricienne et j'ai des amis ici chez qui je suis invité à chaque séjour. Quand, je suis sur l'île, je n'ai pas l'impression de me déplacer dans une décharge, même si tout n'est pas clean, c'est vrai. Sauf que, vous êtes mal placés pour donner des leçons. Si vous aviez leur niveau de vie, comment feriez-vous ? nous ? Est-ce qu'à Paris tout est parfait, propre, super reluisant ? Je ne pense pas. Ici, il y a des très belles plages sur lesquelles on ne trouve aucun déchet. Allez donc à Cannes déterrer les canettes de bière et les mégots que les gens enfouissent dans le sable ! Moi j'y ai habité douze ans et je sais de quoi je parle. J'ai vécu aussi dix ans dans les iles et j'ai souvent entendu des réflexions comme les vôtres. Souvent, elles proviennent de personnes qui se croient être le nombril du monde, qui ne savent pas ouvrir les yeux et apprécier ce qu'ils ont sous les yeux. Et pourquoi ? Parce qu'ils sont trop préoccupés à vouloir reproduire les clichés qu'ils ont emportés avec eux de la France. Je suis français mais honnêtement, notre pays est loin d'être un modèle. Il faut sortir de son hôtel, de sa piscine et du bar climatisé pour arpenter les rues des villages environnants et dialoguer avec les gens. Il faut s'installer dans les petits snacks ou manger sur le pouce, dans la rue. Je ne dis pas que Maurice c'est le paradis, mais quand on ne sait pas, on se tait. Et on évite d'insulter les autochtones comme vous venez de le faire quand on ne connait rien d'eux. Un conseil : rentrez chez vous !



Pas effarouchée pour un sou, voilà que la vielle se lève, se saisit de sa canne et la lève en direction de son détracteur.


Même si la scène a de quoi m'amuser, un peu, je ne peux m'empêcher de ressentir une certaine crainte. Il y a de l'orage dans l'air, et je ne parle pas des prévisions météorologiques mauriciennes.

Je suis donc Mamie des yeux : la voilà postée face au père de famille qui a bien quatre ou cinq têtes de plus qu'elle. Mais ça ne lui fait pas peur manifestement puisque la voilà qui beugle à nouveau :

— Et le respect des anciens, ça vous dit quelque chose, espèce de saligaud !

— Je respecte autrui lorsqu'il se montre respectueux. On ne peut pas dire que la politesse vous étouffe vous !

— En attendant, la liberté d'expression existe et si j'ai envie de critiquer ce pays de merde, je le ferai !

— Forcément, si vous vous attendiez à voir un Paris bling bling made in Océan-indien, vous vous êtes sacrément trompé. Maurice, c'est l'outre-mer avec ses couleurs, ses bruits, ses couleurs, son patois, sa population multiculturelle. Il y a certains endroits de l'île qui sont sales mais ceci résulte de l'incivilité de certaines personnes. La France des cités est également affreuse et sale mais ce n'est pas pour autant que la France est un pays poubelle où règne la violence. L'île Maurice est une île agréable où les gens sont très pacifiques et chaleureux. Les plages paradisiaques des cartes postales existent. Le pays est réputé pour être une destination idéale pour les lunes de miel et croyez-moi il le mérite vraiment. Prenez l'exemple des Seychelles. C'est joli c'est sûr mais hormis la plage, y a rien à faire aux Seychelles. Alors qu'à Maurice il y a des musées et des parcours touristiques à visiter, des excursions et randonnées diverses à faire. Mais bon, vu votre étroitesse d'esprit, c'est à se demander pourquoi vous n'êtes pas restée en Europe.

— On croirait entendre un vendeur débile qui essaye de vendre les stupidités du télé-achat. Vous êtes pathétique, vraiment.

— Heureusement qu'il y a encore des gens qui aiment voyager et qui développent considérablement leur ouverture d'esprit, qui vous fait cruellement défaut. Parce que si tout le monde était comme vous, une petite bourgeoise aigrie par la vie...Ah je plains votre mari et votre famille !



Je déteste le sable, je déteste la mer...et les cartes postales !Où les histoires vivent. Découvrez maintenant