Décollage, atterrissage et autres joyeusetés (1ère partie)

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Je ne peux plus reculer. Dans une heure, un taxi viendra me chercher pour m'emmener vers l'échafaud. Pardon, je veux dire, à l'aéroport Paris Charles de Gaulles.

Pourquoi ai-je accepté ce fichu voyage ?

Parce que mon père vieillit mal et que je ne tiens pas à être responsable d'un enterrement anticipé ?

Parce que j'en ai marre que ma mère me reproche de ne penser qu'au boulot ?

Parce que mes sœurs ont menacé de me traîner de force à Disneyland Paris ?

Je n'en sais strictement rien. Mais le résultat est là : je pars pour l'île Maurice, un pays perdu au beau milieu de l'Océan, quelque part entre l'Afrique et l'Inde. Pour être honnête, je me suis à peine documentée sur ma destination. Dieu merci, il ne faut pas trente-six mille vaccins pour s'y rendre. Ma famille m'a encouragée à réserver des excursions et à partir à l'aventure mais je n'en ferai rien. Je ne sais pas du tout où je mets les pieds et je ne fais pas confiance aux inconnus.

De plus, j'ai tendance à être poursuivie par la malchance dès que je mets un pied en dehors de mon bureau ou de mon appartement. Alors autant limiter les risques. Au moins je n'ai pas peur de prendre l'avion. Mon job m'amène à effectuer différentes missions à l'étranger : Etats-Unis, Norvège, Portugal, Japon, Italie, Australie, j'ai voyagé aux quatre coins de la planète sans jamais prendre le temps de visiter la moindre des villes où je me suis rendue. Un gâchis me direz-vous ? Pas pour moi. Ces déplacements ne concernaient que le boulot, je me dois de montrer l'exemple. Et puis, ce n'est pas mon truc. Ce qu'on appelle des endroits touristiques sont pour moi les premiers lieux à fuir. Déjà c'est bourré de monde, vous multipliez par cinquante au moins le risque de vous faire voler votre sac ou votre portefeuille et il est impossible de trouver à boire et à manger à un prix raisonnable.

Je préfère rester chez moi, ou dans ma chambre d'hôtel, à lire un bon bouquin ou à boire un verre avec mes collègues.

Le temps a toujours tendance à passer plus vite lorsqu'une échéance désagréable se rapproche. À peine montée dans le taxi et me voilà à l'aéroport. Le stress et l'anxiété n'aidant pas, je me rends compte que je suis arrivée cinq heures avant le décollage. Qu'est-ce que je vais faire pour tuer le temps ? Je n'ai même pas mon ordinateur portable !

Dépitée, je pénètre dans le hall d'entrée et cherche les comptoirs d'enregistrement. Autant se débarrasser tout de suite de cette corvée. Voyageuse régulière, je retrouve très vite dans les différentes files d'attente ceux que je nomme les indésirables. Vous savez, ces gens qui se croient seuls au monde et qui râlent à la moindre contrariété.

Lorsque je repère le lieu dédié à ma compagnie aérienne, je constate qu'il y a déjà de nombreux passagers devant moi. Bah, de toute façon j'ai le temps. Pas comme l'homme devant moi tiens...

Incapable de tenir en place, il soupire, grommelle dans ses dents, se plaint de la lenteur des employés et des autres clients. Un éternel insatisfait. Ce type de parasite, c'est comme la saleté, il s'incruste partout. Cependant, je ne peux lui donner tort sur un point : devant lui, une famille nombreuse se fait remarquer par le comportement plutôt bruyant de chacun de ses membres. Il y a l'ado qui n'en a rien à foutre et qui pianote sur son smartphone comme un fou furieux en pestant contre la difficulté d'un jeu qu'il vient de télécharger. Bien entendu, il n'a pas d'écouteurs et ignore sans doute que son téléphone possède une option « silencieux ».

Passons à la respectable matriarche. D'une main elle tente de calmer ses deux plus jeunes rejetons tout en poursuivant coûte que coûte une conversation passionnante avec sa meilleure amie.

— Oui, oui on est bien arrivé. Non, pas de problème sur l'autoroute. Jean-Pierre a trouvé une super place de parking non loin de l'entrée du terminal, ça nous a évité de marcher des kilomètres avec toutes les valises. Oh oui, on aura une surtaxe mais tant pis, comment veux-tu faire avec quatre gosses ? Oui c'est jusqu'au 17, oui je sais mais je m'en fiche. Je vais pas payer le triple du prix. J'ai droit à des vacances comme tout le monde moi. Tu penseras à passer pour nourrir Felix ? Super, merci ! Bon, je te laisse, je t'appelle demain quand on sera installés.

Rien qu'à l'idée que je vais devoir supporter cette bonne femme dans l'avion pendant douze heures, j'attrape un mal de tête atroce. C'est le genre qui a des sujets de conversations inépuisables, qui jacasse sur le dos de tout le monde, celle à qui on a envie de coller quelques baffes pour la faire taire. Et quel exemple pour ses enfants. Qu'ils ratent quelques jours quand ils ont encore en maternelle, je comprends mais le plus grand des gamins il est soit au collège soit au lycée. Savent-ils au moins, les parents, qu'ils risquent des sanctions pénales et qu'une procédure disciplinaire peut être ouverte à l'encontre de leurs gosses ?

Obnubilée par son téléphone, la charmante mère n'a pas remarqué qu'un trou d'au moins vingt mètres vient de se former devant elle. Il n'en faut pas plus pour que plusieurs touristes s'engouffrent dans la brèche sous le murmure outré de ceux qui me suivent.

Une dame ne se fait pas prier pour les rappeler à l'ordre et, devinez-quoi ? Elle reçoit en retour un flot d'insultes !

Je commence à m'impatienter. Et derrière moi, ce n'est pas mieux. J'ai un pot de colle qui a stoppé son chariot à dix centimètres de mes chevilles. Il est si près que je peux sentir l'odeur de son parfum. Heureusement, ce n'est pas un truc infâme mais quand même. Où est le respect de l'espace vital ?

Enfin, tandis que la famille nombreuse procède à une vérification du contenu de ses bagages à main...ah non, je crois que le gamin pique une crise parce que son père a oublié la batterie externe de son smartphone. Les voilà donc à étaler à même le sol livres, bouteille d'eau, crème solaire, tongs, soutien-gorge...

Attendez... j'ai bien dit soutien-gorge ?

Ébahie, j'observe cette scène surréaliste en tente de garder une certaine contenance. Pas comme le stressé devant moi qui ressemble à un lion en cage.

Mais, pas le temps de profiter du spectacle, c'est à mon tour d'enregistrer mes bagages. Consciencieuse, j'ai pris la peine de vérifier les dimensions autorisées pour mon sac qui m'accompagnera en cabine. Au comptoir jouxtant le mien, je contemple, amusée, un couple qui fixe le tapis roulant avec angoisse. Ces deux-là doivent sans doute prier pour éviter la taxe pour excédent de poids. Le soupir de soulagement, qu'ils lâchent de concert quelques secondes plus tard me fait sourire.

Machinalement, je présente mes documents à l'hôtesse face à moi. Il me faut quelques minutes pour réaliser qu'elle me pose une question.

Je déteste le sable, je déteste la mer...et les cartes postales !Où les histoires vivent. Découvrez maintenant