Je suis pathétique

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Est-il utile de préciser que ma nuit fut mauvaise ?

Non pas à cause de la douleur, c'était supportable. Enfin, non, ça l'était lorsque je restais couchée. Sauf qu'il ne se passe pas une nuit sans que je ne doive me rendre aux toilettes.

J'ai d'abord essayé de me retenir.

Mais, il y a un moment où c'est devenu trop douloureux. Donc, je me suis assise dans mon lit et j'ai réfléchi. Beaucoup de gens se plaignent de la nouvelle tendance dans les hôtels qui veut que la toilette et la baignoire se retrouvent dans la même pièce que le lit. Moi la première. Une salle de bain doit être séparée d'une chambre, c'est la base !

Et bien là, je peux vous dire que j'aurais bien aimé me retrouver dans cette configuration. Parce que je me suis rendue compte que le Graal se trouvait à une distance effroyable de mon lit. Entre huit et dix mètres au moins !

Ensuite, après avoir pris conscience du parcours du combattant qui m'attendait, j'ai eu le réflexe de poser le pied par terre. Logique me direz-vous, lorsqu'on quitte son lit. Oui mais non ! J'ai eu la très bonne idée de commencer par le pied gauche puisque j'étais couchée du côté droit. Vous suivez ? Je sais, vous allez dire que j'aurais pu poser mes deux pieds en même temps. C'est vrai. Mais j'étais trop fatiguée pour réfléchir à la question.

Bref. Je crois que le cri de douleur que j'ai poussé a réveillé mes voisins et sans doute les deux ou trois blocs adjacents au mien. Je suis restée immobile plusieurs minutes, le temps que l'élancement atroce dans mon pied cesse. Puis, j'ai cherché du regard les béquilles qu'Adrien avait ramenées. Et je me suis rappelée qu'elles se trouvaient dans le hall d'entrée. Histoire de gagner quelques mètres précieux, je me suis recouchée, j'ai roulé sur moi-même pour arriver de l'autre côté de l'immense lit king size. Puis, en m'agrippant tant bien que mal au mur, et sur un pied évidemment, je suis parvenue jusqu'à la toilette, soufflant et transpirant comme un bœuf.

Afin de m'éviter un second parcours du combattant, j'aurais dû prendre mes béquilles pour retourner me coucher. Sauf que...non, mon cerveau en mode « abonné absent » n'a pas daigné m'envoyé un signal de rappel. Lorsqu'enfin, je me suis écroulée dans mon lit, j'ai eu la bonne idée de siphonner la bouteille d'eau posée sur ma table de nuit. Bah oui, le sport ça donne soif.

Et donc, deux heures plus tard...

Mais cette fois, ma maladresse naturelle a refait son apparition. Alors que j'avais brillamment échappé à la chute lors du premier passage, cette fois, je n'ai pas eu cette chance. En tentant de me rattraper au meuble face à la porte de la salle de bain, j'ai glissé et me suis étalée sur le sol, ajoutant à mes blessures de guerre une bosse sur le front de la taille d'une balle de golf.

Et comme si je n'avais pas été suffisamment punie, j'ai ensuite fait de nombreux cauchemars où, tour à tour, mes parents, ma famille, mes amis me traînaient sur une estrade pour faire face à une foule en colère qui réclamait ma mise à mort. J'étais ensuite attachée à un poteau de bois et abandonnée à mon triste sors sous une pluie battante. Je suis créative dans mes cauchemars c'est indéniable.

Lorsque la femme de chambre s'est pointée avec mon petit déjeuner, je me suis demandé comment elle a pu supporter la vision d'horreur que je lui offrais.

Il est à présent dix heures et, en contemplant la plage de ma terrasse, je me rends compte que finalement, je préfèrerais être allongée sur un transat que confinée dans ma chambre. Un comble pour quelqu'un qui déteste les vacances ! Alors que je m'interroge sur les longues heures monotones qui m'attendent, le médecin de l'hôtel fait irruption dans ma chambre accompagné d'Adrien. Lorsque leur regard inquiet se pose sur moi, ou plutôt sur mon front, je me sens pathétique.

Le doc s'approche et m'interpelle :

— Vous...vous êtes tombée à nouveau ?

— J'avais oublié les béquilles près de la porte, j'ai voulu me lever cette nuit et vu mon équilibre précaire...mais ne vous tracassez pas, je ne suis pas au bord de l'agonie. D'ailleurs mon pied me fait moins souffrir.

— C'est une bonne nouvelle. N'hésitez pas à m'appeler en cas de problème.

Après quelques questions de routine, le médecin me laisse en compagnie de mon sauveur de la veille. Il s'assied face à moi sur la terrasse et m'observe en silence. Puis, il sourit en secouant la tête et dit :

— Décidemment, ces vacances ne sont pas de tout repos ! Je me trompe ou votre karma est un sacré farceur ?

— C'est pire que ça ! Je suis née sous une mauvaise étoile, cela ne fait aucun doute. Mais au fait, vous ne travaillez pas ?

— Non, pas aujourd'hui. J'ai pensé que vous auriez sans doute besoin d'un peu de compagnie. J'ai aussi des excuses à vous présenter.

— Euh...à quel sujet ?

— Votre boulot. Je suis au courant de ce qui se passe à Paris pour l'instant. Certes, je ne cautionne toujours pas ce que vous faites mais le lynchage médiatique dont vous êtes victime est exagéré. Sans vouloir vous vexer, vous ne vous êtes pas entourée des meilleures assistantes. L'interview d'hier soir, c'était quelque chose.

— Quelle interview ?

— Vous n'êtes pas au courant ?

Je grimace : qu'est-ce que je vais encore découvrir ? Adrien se rend compte de sa bourde et tente de détourner le sujet mais je le presse de me relater ce qu'il a entendu. Au fur et à mesure qu'il avance dans son récit, je me décompose en réalisant que j'ai fait confiance aux mauvaises personnes. Clara, mon adjointe, celle qui me ment depuis le début de cette crise, n'a rien trouvé de mieux que de déverser son venin à mon encontre dans le direct du journal de TF1 ! Son discours n'est que pure mystification. Mais le mal est fait : je suis la seule à passer pour la méchante de service.

Je me sens idiote, stupide. Finalement je resterais bien ici à Maurice. D'ici quelques semaines, la presse finira bien par m'oublier non ?

Je soupire et me perd dans la contemplation de l'océan. J'étais sincère lors de ma première conversation avec Adrien, quand j'affirmais que je ne voulais qu'aider des jeunes filles à prendre confiance en elles. Mais je me suis perdue en chemin. J'ai été happée par le système, par la nécessité de faire des bénéfices, d'écraser la concurrence. Je me rends compte que j'en ai oublié mes premières intentions. Je ne sais pas pourquoi mais je confie le fond de ma pensée à mon visiteur. Ce dernier se lève et s'assied à côté de moi, dans le confortable divan de ma terrasse.

— C'est bien ce que je pensais : en foin de compte je me suis trompé sur vous. Vous êtes une belle personne. Mais un peu trop naïve. Cependant, il n'est pas trop tard pour rectifier le tir.

— Qu'est-ce que vous voulez dire ?

Bien que peu désireuse de faire face à une nouvelle flopée de reproches, j'ai l'intuition qu'Adrien a des choses intéressantes à me dire. Et dans ma situation actuelle, un bon conseil ne serait pas de refus !

Je déteste le sable, je déteste la mer...et les cartes postales !Où les histoires vivent. Découvrez maintenant