Mais pourquoi les cartes postales ?

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Histoire de ne pas surcharger mon estomac, je décide de faire light pour ce premier repas. Je me contente d'un gaspacho melon concombre basilic et en dessert une pana cotta à la mangue.

Tandis que je savoure mon dessert, Monsieur... non, Dylan. Tâchons de faire un effort. Dylan, donc, revient sur l'une des phrases que j'ai prononcées à mon arrivée.

— Mais pourquoi les cartes postales ? Pourquoi les détestez-vous ?

Sacré mémoire le ptit gars...

Je contemple mon assiette et fait mine de réfléchir. Au point où j'en suis, Dylan doit de toute façon me prendre pour une cinglée. Donc, allons-y gaiement pour la suite !

Je le fixe avec assurance, histoire de lui montrer que sa question ne m'a pas déstabilisée.

— Quand j'étais gosse, mes parents avaient pour habitude de nous emmener en vacances dans le même camping en Vendée, au bord de la mer. Euh non, c'est l'océan Atlantique de ce côté-là. C'était pas le grand luxe, mais il y avait une petite piscine, une plaine de jeux, un terrain de football et nous étions juste à côté de la plage. Ils louaient toujours la même maisonnette et nous partions toujours aux mêmes dates. Mes parents sont des gens qui n'aiment pas être bousculés dans leurs habitudes.

Mais je ne peux pas me plaindre, on partait. Certains enfants n'ont pas cette chance. Chaque année, il y avait une tradition, parmi les dizaines qui revenaient invariablement, c'était les cartes postales. Pour ma mère, c'était sacré. Elle avait un calepin avec tous les noms et adresses des personnes à qui nous étions forcés d'écrire.

— Forcés ? Vous n'exagérez pas un peu ?

— Même pas ! Le deuxième jour suivant notre arrivée, nous nous rendions dans une petite épicerie qui vendait aussi des journaux, des livres et des cartes postales. La gérante avait plus de cent modèles différents. Ma mère les choisissait une par une puis, une fois rentrés au camping, elle nous obligeait, mes deux sœurs, mon frère et moi, à nous assoir à table. Et nous n'avions autorisation de nous lever que lorsque nous avions rempli notre mission. C'est-à-dire écrire dix cartes postales chacun, avec un texte différent pour chaque carte. Ma mère vérifiait tout scrupuleusement. Gare à celui qui se trompait ! Et si nous n'écrivions pas correctement, il fallait recommencer. Une fois, ça m'est arrivé. J'ai dû retourner à l'épicerie, racheter une carte avec mon argent de poche, et réécrire de manière lisible mon texte. Et tous les ans c'était la même chose. J'ai subi ce calvaire de mes huit ans jusqu'à mes dix-huit ans. Je n'ai jamais osé me rebeller avant. L'année suivante, j'ai refusé de partir avec mes parents, j'en avais marre de ces vacances qui n'en étaient plus pour moi. Et bien entendu, je ne me suis pas gênée pour gueuler haut et fort ce que je pensais de ces foutues cartes postales !

— Ah oui quand même !

— Le pire dans tout ça c'est que, tous les ans, ma mère postait cinquante cartes. Oui, mon père et elle avaient leur petite liste aussi. Et chaque année, je ne sais pas si nous recevions cinq réponses en retour. Lorsque nous étions occupés à écrire ces maudites cartes, j'avais l'impression de faire une punition pour l'école ! Il y a une heure, ma mère m'a envoyé un texto. Je vous laisse deviner le sujet...

— Elle ne vous a quand même pas demandé de lui envoyer une carte postale ?

— Dans le mille !

— Et vous allez accéder à sa demande ?

— Vous n'avez rien écouté vous !

— Bah, avec l'âge, vous avez peut-être...ouais, non, vous n'avez pas changé d'avis. Au fait, on pourrait se tutoyer non ?

— Pourquoi ? Je n'ai pas l'intention de passer mes vacances avec vous.

— Au moins vous êtes directe, j'aime ça.

Celui-là, il a vraiment du mal à comprendre. Faudra quand même que je mette un plan sur pied pour l'éviter. Quoi que...il ne va quand même pas inspecter l'hôtel pendant trois semaines ? A moins qu'il ait menti, c'est une autre possibilité.

Histoire de m'éloigner au plus vite, je remercie Dylan de m'avoir tenue compagnie et je quitte le restaurant. À nouveau, il me faut un quart d'heure pour retrouver ma chambre. Je veux un plan merde quoi !

J'hésite ensuite sur le programme de la fin de journée. Plage ou piscine ?

Piscine, sans hésitation ! Faire quelques longueurs devrait me faire du bien et me changer les idées.

J'enfile un maillot une pièce sportif, je revêts par-dessus un short et un débardeur et je n'oublie pas de prendre avec moi un bon livre à lire.

Comme je m'y attendais, les transats sont tous vides mais occupés. Je m'explique : vous pouvez partir n'importe où dans le monde, peu importe l'heure à laquelle vous irez à la piscine, il n'y aura jamais un transat de libre. Tous sont réservés grâce à une serviette de bain abandonnée ou encore des tongs et un chapeau de paille. Mais leurs propriétaires, curieusement, vous ne les voyez jamais ! Enfin, si, seulement à sept heures du matin, lorsqu'ils sprintent pour être les premiers à déposer leurs affaires sur une chaise longue.

J'ai assisté une fois à ce spectacle désolant, à Lanzarote. Des touristes britanniques et allemands en étaient même venus aux mains. J'avoue, je ne comprendrai jamais l'espèce humaine !

Je fini par dénicher un transat libre, à l'ombre. J'ai à peine le temps de retirer mes tongs qu'un employé, on les appelle les beach boys apparemment, accoure vers moi pour me proposer une bouteille d'eau, replacer correctement ma serviette et s'assurer que je ne manque de rien.

J'avoue, ça me rend mal à l'aise. Oh, le gars fait super bien son boulot c'est pas ça, mais je ne suis pas une habituée des palaces et hôtels cinq étoiles et je déteste me retrouver au centre de l'attention. J'essaye cependant de ne pas me montrer trop sèche avec l'employé et je le remercie pour sa sollicitude.

Je retire mes vêtements et je pose un pied dans l'eau au moment même où une averse tropicale surgit sans crier gare.

J'ai à peine le temps de cacher mes vêtements et mon bouquin en dessous du transat avant de me demander ce que je fais. Les clients se précipitent tous vers leurs affaires et en même pas cinq minutes, il n'y a plus personne autour de la piscine. À moi les transats !

Vous allez sans doute me prendre pour une folle mais je profite de l'instant pour aller nager. La pluie qui tombe est chaude et franchement ce n'est pas du tout désagréable. Et puis quand on est dans l'eau on est déjà mouillé ! Donc, ou est le problème ?

Comme me l'avait indiquée l'employée de la réception ce matin, les précipitations ne durent jamais bien longtemps. Et, moins de dix minutes plus tard, voilà qu'il fait grand soleil. Ni une ni deux, tels des rapaces, les touristes affluent à nouveau. Certains ont une technique que je n'avais encore jamais vue : ils envoient les enfants en éclaireur pour s'accaparer les transats, et plus particulièrement les doubles encadrés de tentures. Vous avez déjà vu un adulte résister à un gosse vous ? Moi non plus. Sauf que ça ne marchera pas avec moi.

Je m'installe donc tranquillement et débute ma lecture. Mais une ombre surgit devant moi...

Je déteste le sable, je déteste la mer...et les cartes postales !Où les histoires vivent. Découvrez maintenant