Cocktail instructif au bord de l'eau (3ème partie)

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— Est-ce qu'à un moment donné vous avez regretté votre choix ?

— Non. Je n'ai pas eu trop de mal à m'intégrer car j'ai été aidé par deux autres membres de l'équipe éducative de l'école, français également. Ils vivent ici depuis plus de vingt ans. Tout ceci pour vous dire qu'il ne faut pas attendre de se laisser bouffer par une situation pour réagir. Et c'est là que j'en reviens à vous, Naïs. Sans le vouloir, vous avez été entraînée dans la spirale du profit à tout prix. Vos intentions étaient louables au départ mais le milieu dans lequel vous évoluez a englouti vos bonnes résolutions. À présent, vous avez la possibilité de revenir dans le droit chemin, si je puis me permettre l'expression. Vous pourriez continuer dans ce milieu pourri mais je ne suis pas certain que cela vous attire encore. Vous avez peur de l'inconnu, c'est compréhensible. Mais vous devez saisir cette opportunité d'opter pour une vie qui vous conviennent réellement. J'ai gâché plus de quinze années de ma vie parce que je n'ai pas osé m'affirmer. Ne commettez pas la même erreur.

Je médite quelques instants les paroles d'Adrien. Le soleil a disparu derrière l'horizon, la plage est plongée dans la pénombre à présent. Je frissonne malgré la température agréable. Je ne peux pas comparer le parcours d'Adrien au mien mais je comprends qu'il veut m'amener à réfléchir sur la suite de mon parcours professionnel. À trente-deux ans, j'ai encore la vie devant moi. Adrien a raison, ce n'est pas le moment de flancher mais, au contraire, de me reprendre en main.

Quelques gouttes d'eau viennent s'écraser sur ma peau moite. Un serveur nous conseille de nous mettre à l'abri car une averse est prévue d'un moment à l'autre. Adrien et moi, nous nous installons dans un confortable divan près de la piscine, sous un pavillon de bois. Quelques secondes plus tard, c'est le déluge.

Le vent monte rapidement et quelques éclairs zèbrent le ciel. Inquiète, je me tourne vers Adrien :

— Le serveur avait parlé d'une petite averse non ?

— Oui, mais il n'est pas rare d'avoir de l'orage. Le climat en janvier est typique de l'été austral : vous êtes confronté à des températures chaudes et à la présence plus marquée des précipitations. Mais, comme vous l'avez sans doute déjà remarqué, les averses, même fréquentes ne durent pas longtemps.

Deux clients, trempés de la tête au pied, le regard furieux, s'écroulent sur un divan non loin de nous. L'homme interpelle alors un serveur d'un ton menaçant :

— Vous là-bas, venez ici tout de suite ! J'exige d'avoir un entretien avec le directeur de l'hôtel. Notre agence de voyage nous avait garanti que nous n'aurions pas un jour de pluie. Nous sommes là depuis sept jours et je ne compte même plus le nombre d'averses et d'orages. De qui se moque-t-on ? Je vais exiger un remboursement proportionnel aux inconvénients que ma femme et moi avons rencontré ! c'est inadmissible.

Scandalisée par son attitude, je m'apprête à aller lui remonter les bretelles mais un geste d'Adrien m'en empêche :

— Ils ont l'habitude, vous savez. Ne vous inquiétez pas, il y a assez de personnel au cas où ça tournerait à la bagarre.

— N'empêche, quel malotru ! Jamais je n'oserai taper scandale ainsi en public. Voilà pourquoi je déteste les vacances et que je ne pars jamais. Parce que l'homme est sans doute la créature la plus égoïste et la plus stupide qui soit sur terre. Parce que ces gens ont payé un séjour qui leur a coûté un bras, ils estiment qu'ils peuvent tout se permettre ?

Adrien me dévisage en souriant puis, il déclare :

— Le souci c'est que l'économie de l'île dépend en grande partie du tourisme. Une partie de la population est très pauvre également. Alors, certains sont prêts à tout encaisser pour toucher un salaire à peu près correct.

— Finalement, ce ne sont pas les populations autochtones qui profitent du cadre exceptionnel de leur pays. C'est triste.

La pluie s'est arrêtée. Au loin, j'aperçois encore quelques éclairs illuminer le ciel sombre. Je décide de regagner ma suite, mon repas devrait bientôt m'y être servi. Je remercie Adrien pour sa franchise et je lui promets d'étudier attentivement les documents qu'il m'a remis. Galant, il me raccompagne à travers le dédale de petits chemins menant aux diverses chambres. Je le remercie intérieurement : j'avais complètement oublié que la nuit tombait plus vite ici qu'en France et je n'ose imaginer ce qui e serait arrivé si j'avais dû effectuer le trajet toute seule.

C'est alors que je réalise que mon compagnon de la soirée doit seulement rentrer chez lui :

— Mais, et vous ? Comment allez-vous faire pour regagner votre maison dans le noir ?

— Un ami qui bosse ici va me raccompagner avec sa moto.

— Ah d'accord. Euuuuuh, j'espère pour vous qu'il ne conduit pas comme un sauvage. Parce que le gars qui m'a amenait jusqu'ici, seigneur, il m'a donné des sueurs froides !

— Ah je reconnais qu'ici, c'est assez free style mais, finalement, à Paris, certains n'ont rien à leur envier !

— Pas faux !

Adrien ne m'accompagne pas jusqu'à la porte de ma chambre mais s'assure que j'entre sans me casser la figure dans les escaliers. Il m'indique que je peux toujours le contacter par téléphone si j'ai des questions au sujet du contrat. Je le remercie à nouveau avant d'aller m'affaler sur mon lit. Je ne compte pas le harceler. Au contraire, je vais prendre quelques jours pour lister tout ce que je dois faire en rentrant chez moi avant de me plonger à nouveau dans l'étude de ses documents.

Mon plateau repas arrive rapidement. J'ai opté, à nouveau pour un plat de poisson et je ne suis pas déçue. Tout y est: les produits sont de qualité et parfaitement préparé, l'équilibre des saveurs est excellent et la présentation soignée.

En dessert, je savoure une tartelette au citron revisitée, à tomber par terre. Je suis très exigeante et jusqu'à présent rien ni personne n'avait pu concurrencer la version présentée par ma pâtisserie favorite à Paris. Je ne laisse pas une miette dans mon assiette.

Après avoir pris une douche rafraichissante et pris mille précautions pour ne pas faire un vol plané, je me glisse sous la couette moelleuse de mon lit, un bloc-notes à la main. La conversation de ce soir avec Adrien a été très instructive et, pendant plus d'une heure, je griffonne de nombreuses idées à mettre en place dans un futur proche.

Je déteste le sable, je déteste la mer...et les cartes postales !Où les histoires vivent. Découvrez maintenant