Havres de paix

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De tous les endroits du gigantesque domaine des Todoroki, celui que j'adorais, où je me sentais le plus à l'aise, c'était la serre. Observer ces teintes colorées, humer le parfum floral de cet ensemble aussi magique que magnifique agissait sur mes nerfs, tranquillisés par la douce atmosphère, épargnée par la pesanteur continuelle de l'extérieur. Je comprenais à chacune de mes visites, pourquoi ce lieu servait de bulle d'air à deux de ses réfugiés.

Occupé en surface à arroser une rangée de bijoux, mon esprit flânait sans effort dans une rêverie romantique, inspirée par l'ambiance apaisante. Mon superviseur, qui changeait le pot de certaines habitantes du temple (tâche effectuée avec toute la minutie du monde) se retrouvait à endosser le second rôle dans ce fantasme muet. Discrets, mes yeux ébahis s'égaraient vers sa beauté, en valeur dans cette combinaison bleutée. Le feu aux joues, la joie de faire pleinement partie de sa vie atteignait à cet instant son point culminant.

— Arrête de me dévisager comme ça, chuchota-t-il, sans interrompre sa besogne, tes émeraudes me déconcentrent. Ma vision périphérique est excellente, tu sais.

Pris sur le fait, je me détournais à la hâte, quand je l'entendis se relever, s'avancer vers moi. Le tam-tam de mon palpitant retentit aussitôt, fort, assourdissant, lorsque le souffle mentholé du joueur de ce tambour incontrôlé se retrouva bientôt sur ma nuque.

— Je t'ai demandé de venir m'aider à m'occuper de la serre, mais tu ne fais que de me regarder, murmura-t-il, ma peau recouverte de frissons.

— Techniquement, mon rôle d'assistant ne commence pas aussi tôt, fis-je remarquer, donc, j'ai le droit. Et puis tu ressembles à une œuvre d'art, je ne peux pas m'en empêcher.

Mon timbre, semblable à celui d'un enfant en faute, obtint l'effet escompté. D'un geste autoritaire, il me força à affronter ses yeux, un baiser fougueux réclamé en silence, ses lèvres, chargées d'accomplir cette volonté, plaquées sur les miennes la seconde suivante.

L'arrosoir tomba à mes pieds, la combinaison trempée à l'occasion, mais à cette seconde, ce désagrément représentait le cadet de mes soucis, tant j'étais pressé de répondre à sa passion. Je réalisais alors à nouveau que sans cet homme si parfait, jamais je n'aurais tenu le coup pendant ces deux années passées à recoller les morceaux de mon cœur en miette.

Je n'imaginais plus ma vie sans sa présence. Sans rien exiger de ma part, attentif et prévenant, il avait patienté la cicatrisation de cette plaie. Le temps nécessaire accordé, mon voile de cauchemar avait mis une année entière à se dissiper, et désormais en pleine possession de tous mes sens, je ne voyais plus que lui.

Depuis un peu plus de quatre mois, nous formions un couple dans la plus grande clandestinité. Au sein de la clinique, notre relation s'effaçait au profit de l'étiquette officielle : l'apprenti face au mentor chargé de guider sur la voie médicale. Personne ne percevait notre intimité fragile, nos obligations respectives enfermées dans une accommodante vigilance. Une fois sorti de ce cadre, à l'intérieur de notre cocon conservé de toute indiscrétion, je laissais ma tendresse s'exprimer sans retenue.

Je l'aimais tellement. J'avais finalement réussi à lui offrir toutes ces choses qu'il souhaitait en silence, quand lui m'avait guéri de mes nombreuses afflictions. J'étais convaincu qu'il me vénérait, qu'il ne m'abandonnerait en aucun cas.

Jamais.

— Il faut que j'y aille... gémis-je contre sa bouche. Arrête ce petit jeu tout de suite, ou je risque de ne plus me contrôler.

— C'est ta faute, je n'ai jamais su te résister... accusa-t-il, la voix soudain saccadée.

Je gloussai, tandis que ses lèvres descendirent vers ma gorge. Sa respiration sifflante trahissait une envie à laquelle je ne désirais que m'abandonner, mais ma conscience studieuse m'en empêcha à la dernière seconde, mes paumes le repoussant déjà.

Under : Blue Velvet [Saison 2]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant