Et ainsi commença

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Je détestais me rendre à l'agence.

Cet endroit me déprimait dès que j'y mettais les pieds, l'intérieur saturé de cette atmosphère étouffante. Tye Barnes m'ignorait la plupart du temps, à l'exception de quelques œillades emplies de dédain, saupoudré de graines de jalousie.

Concentré sur cet individu originaire des États-Unis, j'écoutais d'une oreille distraite la conversation — ou plutôt la série de directives — en retrait. Katchan m'avait dit qu'il était marié, que sa femme attendait un enfant. Juger la vie d'autrui ne me ressemblait pas, néanmoins, cet homme me mettait mal à l'aise, tant les sentiments qui le consumaient s'affranchissaient de toutes les règles du secret.

Plus je le rencontrais, plus l'obsession qu'il nourrissait envers sa nouvelle égérie montait d'un cran. Le corps de Katchan pouvait être revendiqué par le biais du contrat, toutefois, il paraissait vouloir pousser le vice en cherchant à s'attaquer à son âme.

Lorsque l'idée de m'interposer m'effleurait, je me retenais à la dernière seconde, au rappel que, quoi que je perçusse, les problèmes du surdoué ne deviendraient pas les miens, au-delà d'un suivi médical. Et grâce à Best Jeanist, la monture privilégiée de ce drôle de centre équestre connaissait une période d'accalmie, le patron nocturne de cet idiot lâchant quelque peu les rênes autour de son étalon favori.

Le regard de Tye glissa vers moi, son scanner déployé, tandis que je m'appliquais à ne pas abaisser mes émeraudes, un filet de lassitude sur ma langue acide. Je brûlais d'envie de lui dire que son petit jeu ne trompait pas ; il n'y avait qu'à observer la façon dont il couvait Katchan d'une œillade affamée, chargée d'une ardeur à peine voilée pour comprendre que ces deux-là avaient dépassé le cadre professionnel. Le remarquer ne me gênait pas, cependant, cette étincelle transparente dans l'encre de ses pupilles revêtait mes os d'un froid plus glacial que celui d'une patinoire.

Je commençais à fatiguer de la répétition de cette scène à chaque entrée dans son bureau. Il y avait toujours un moment où cette couleur, identique à celui de mon ciel, se posait sur moi, comme s'il cherchait à surveiller une quelconque avancée dans ma relation avec son poulain. De toute évidence, il me considérait comme une menace et tenait à instaurer un rapport de force inutile, en rappelant que Katchan lui appartenait. Rien ne me plairait davantage que d'affirmer que l'objet de sa convoitise idiote ne m'intéressait plus, toutefois, je me contentais.

Maintenant que je ne pouvais plus nier son existence, je la plaignais plus encore, cette personne qui partageait la vie de l'abruti. Elle aimait tellement cet amas de stupidité ! Les mots qu'elle lui adressait pendant ce court temps où elle vécut avec nous, les gestes, les baisers, tout prouvait que Katchan régnait en roi sur son être. Cet abruti n'avait pourtant pas pu s'empêcher de la tromper.

Une banale pulsion, un désir de renouer avec une de ses anciennes habitudes, afin d'assommer la solitude qui le serrait trop fort entre ses griffes, avait sûrement poussé cet idiot. Trop éprise de liberté pour s'enfermer dans une routine maritale qui l'étouffait au quotidien, elle n'avait pas résisté à son ode. Je ressentais une certaine satisfaction de constater que même le lien le plus sacré ne suffisait pas à museler la nature de la bête, mais cette prise de conscience ne me réjouissait pas vraiment.

Le sceau de la trahison chauffant à blanc sur ma peau, je ne pouvais que compatir. Ce mal, sorti par tous les pores, quand la seconde moitié d'un tout s'éloignait, désormais gravé, il bloquait ma propension au pardon.

Le timbre de Tye mit fin à ma torpeur :

— Midoriya, tu peux rester deux minutes ? J'aimerais te parler.

Ma sonnette d'alarme s'affola lorsqu'il demanda à Katchan de quitter la pièce, jusqu'à ce que je comprenne la raison de sa manœuvre. Aussi répliquai-je, d'un ton qui concurrençait l'arrogance de mon colocataire :

Under : Blue Velvet [Saison 2]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant