Sous les feux des projecteurs

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Trois bonnes heures que l'appareil mitraillait sans discontinuer, le cliquetis distinctif répercuté à l'intérieur de mon crâne, prêt à exploser. J'avais peine à croire me trouver dans un studio professionnel, à subir les humeurs d'une cinquantenaire austère, guindée et mal baisée. À la façon dont elle m'observait derrière ses lunettes carrées, je devinais ses questions, toutes en rapport avec ma présence indésirée. Sans doute valait-elle moins à ses yeux que toutes ces statues, représentantes d'un métier qui ne m'attirait guère, une évidence partagée. Je maudissais ma venue, plus que la raison qui l'avait motivée, m'emmerdant si fort que je ne me retenais pas de bâiller d'ennui.

Non seulement je crevais de chaud dans cet endroit, mais ma tenue de cuir me plaçait davantage dans un club de fétichisme.

Qu'est-ce que je fous ici, putain... ?

— Tu es splendide, chéri ! Vraiment magnifique ! s'extasia le photographe en abaissant son gadget dernier cri, la paume de sa main sur sa joue gauche. Il y a quelque chose de très désinvolte chez toi, et, dans le même temps, tu sembles cacher une part très sombre. Je comprends pourquoi il t'a recommandé, ce qu'il a décelé en toi. Je t'avoue, je fonds, moi aussi.

Je retins de justesse un sourire. S'il savait tout ce qui me hantait, peut-être deviendrais-je beaucoup moins attractif.

— C'est l'heure de la pause, d'accord, mon chou ? ajouta-t-il, après quelques consignes reçues à l'oreille. Le temps de te rafraichir, et de te changer.

Il me scruta un instant avec attention :

— Tu as l'air fatigué... Tu m'en vois désolé, malheureusement, on en a pour un petit moment. Il veut mettre le paquet sur toi, je dois me dépasser, pour te rendre irrésistible, c'est la priorité numéro un. Dans le cas contraire, il m'empêchera d'exercer, sa menace favorite, mais j'aime beaucoup trop mon boulot pour lui désobéir. Prends encore un peu sur toi, mon cœur, s'il te plait.

Sans répliquer, content de pouvoir enfin me poser, je m'empressais de m'éloigner du fond vert, ainsi que du regard inquisiteur lancé par l'assistante à bout de nerfs.

En retrait, un spectateur m'attendait, des étoiles dansantes à l'intérieur de ses pupilles enflammées de joie.

— Là, tu m'épates, m'accueillit sa voix subjuguée. On dirait que tu as ça dans le sang. C'est impressionnant comme tu arrives à capter l'objectif, alors que tu n'avais jamais joué les modèles. Tu fascines tout le monde.

Un soupir émerveillé lui échappa.

— Décidément, tu excelles dans n'importe quel domaine pendant que je lutte pour maintenir ton ancien navire à flot. C'est à la fois rageant et inspirant.

Il ne vit rien, tout à son admiration, mais ses paroles enroulèrent un peu ma corde sensible. C'est à cause de cette croyance que Deku avait tant souffert, durant notre enfance, quand je pensais valoir bien plus que lui, et que j'étais persuadé de mériter sa gratitude de la plus petite attention accordée.

Un insecte, voilà ce qu'il représentait. Ça ne me gênait pas de l'écraser, sa vénération pour moi résistait malgré tout. Quand je m'aperçus trop tard que son attitude altruiste me fascinait, j'étais démuni, incapable de lutter contre elle. Elle m'attirait toujours plus profond, elle et ce surnom.

La haine, mise en exergue par sa pureté aveuglante, déclenchante du pire de ma personnalité, il paya au prix fort de ma faiblesse en conséquence. Par sa faute, j'atteignais un degré de méchanceté jamais éprouvé, exacerbée par la sensation de paraître aussi insignifiant qu'un moustique à ses côtés. De nous deux, c'était moi le surdoué, et pourtant, il me dépassait. Je le détestais autant que je l'admirais.

Under : Blue Velvet [Saison 2]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant