Contraint mais pas forcé

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Dans le bureau de Tye, j'attendais son retour avec une fébrilité certaine, maintenant que ma signature décorait toutes les pages du contrat. Mon avenir flou occupé à ressasser des perspectives peu engageantes pour la première fois de mon existence, j'avais à peine fermé l'œil, la nuit dernière.

Mes nerfs, appliqués à mobiliser mon instinct de survie dans cette pesanteur, se vengeaient sur ma jambe droite, victime de soubresauts répétitifs à intervalle rapide, manifestation physique de mon état intérieur actuel.

J'ignorais toujours si je marchais dans la bonne direction, — concernant cette route, du moins — le sentiment d'Eijiro partagé très fort, mais mon besoin d'argent ne me permettait plus de retarder ma prise de décision. Pour minimiser cette impression de me trahir moi-même, à l'arrangement écrit s'imposaient mes propres conditions. Jugées abusives pour certaines, elles furent pourtant toutes acceptées sans délai de réflexion.

La porte s'ouvrit, devant mon patron au sourire ravi. Son élégant costume soulignait sa nature soignée, mais, surtout, sa carrure. Je ne le croyais d'ailleurs pas aussi grand, maintenant éclairé par la lumière du jour. Sa prestance changeait, son rôle de meneur revêtu face à moi, le dernier poulain fraichement débarqué.

Il contourna son bureau, puis s'installa au fond du fauteuil en cuir beige, son regard braqué sur mon visage fermé. Écœuré par un éclat victorieux trop visible, je m'efforçais de contenir une rage autrefois si familière, et prête à tout saccager.

— Cette collaboration ne te ravit pas, déchiffra-t-il, tu m'en vois navré. Je ne te cacherais pas que c'est une aubaine pour moi, que tu te trouves dans une situation désespérée.

— Vous profitez donc de ma faiblesse ? demandais-je, un brin amusé.

L'emploi du « vous » m'écorcha la bouche, mais puisque notre relation se métamorphosait, j'adoptais la conduite exigée dans ces circonstances.

Il éclata d'un rire franc, sa surprise dissimulée à l'intérieur.

— Laisse tomber le vouvoiement, tu veux, rétorqua-t-il, une étincelle hilare dans ses prunelles noires. Tu m'as soumis telle une vulgaire poupée, et c'est parce que je n'ai pas eu à m'en plaindre que ta distance paraît inappropriée. Crois-le ou non, je désire vraiment t'aider sans autres contreparties que celles inscrites à l'intérieur de ton contrat, promit-il. La preuve, en gage de ma bonne foi, nous l'avons retapé en y incluant toutes tes conditions.

Je haussai les épaules. Il pouvait raconter ce qu'il voulait, ça ne changeait rien, je me méfiais beaucoup trop des gens pour baisser ma garde. Des personnes douces, serviables, altruistes, existaient en ce monde, mes parents, Deku en représentants parfaits de cette rareté. Aucune, toutefois, ne réalisait une action sans en tirer un minimum de bénéfice.

Mon silence l'obligea à ouvrir la version finale du book. Il me félicita, satisfait du résultat. Ce n'était pas la première fois qu'il dénichait un talent, en revanche, peu se révélaient efficaces et intéressants si rapidement, surtout sans expérience au préalable.

Je me détachais du lot ; je captais le regard, ma beauté sauvage à couper le souffle ; je savais naturellement me mettre en valeur, ce qu'on attendait de moi connut à l'avance ; cette capacité à prédire, répondre au besoin me servirait ; grâce à elle, si je le souhaitais, mon nom pouvait se graver dans le marbre du métier.

Je ne réagis à aucun de ses compliments, mon carmin à peine curieux des photos présentées. L'ennui m'encerclait, quand j'étais propulsé ainsi au centre de l'attention. Trop habitué au gout de la congratulation pour en apprécier la saveur, il m'apparaissait fade désormais. Il ne constituait plus d'intérêt, aussi cherchais-je à éviter sa consommation autant que possible, le dégoût trop prononcé. L'homme à l'origine de ce rappel s'en aperçut, car il s'arrêta très vite, m'informant qu'une copie de mon emploi du temps déjà préparé attendait au secrétariat.

Under : Blue Velvet [Saison 2]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant