la brute

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Si j'avais pu apprécier le spectacle, j'aurais souri du regard que Tye posait sur Deku. Dénuée d'animosité, mais tout de même relevé d'une certaine contrariété déguisée en une mimique amusée sur ses lèvres retroussées, je reconnaissais cette analyse au travers de ses orbes sombres, cette façon de sonder l'âme. Aidé de son principal atout, mon coup d'un soir devinait sans nul doute ce que ce prétendu assistant représentait pour moi. J'aurais pu m'agacer de cette percée si je ne savais pas Tye Barnes trop obsédé par moi pour s'intéresser à un soi-disant ami d'enfance.

À ses yeux, cette rencontre ne formait qu'un caprice de plus formulé par son égérie favorite, non une menace, mais, tout comme moi, il semblait halluciné par l'illusion, plus vraie que nature.

Et pourtant, nos cerveaux respectifs ne nous trompaient pas, Deku se trouvait bien ici, à l'agence, avec moi. La version officielle tenait en quelques phrases : je requérais l'aide d'un assistant, car le travail exigeait plus de responsabilités que je ne l'aurais cru. Par chance, Izuku Midoriya, un ami d'enfance qui s'intéressait au métier, proposait de se dévouer à cette tâche.

La perspicacité de Tye l'alertait du mensonge, seulement, hors de question de relater les récents événements. Ils ne concernaient que moi, ou presque.

En mon for intérieur, plutôt que de la féliciter de ne pas sourciller face à l'inquisition silencieuse de mon patron nocturne, je me sentis détester de toute mon âme la personne à l'origine de mon quotidien chamboulé.

Ce ressentiment éprouvé envers ma première addiction, déclarée coupable d'avoir profité d'un moment où je ne contrôlais plus mes réactions, ne désemplissait pas. Les traces laissées par la drogue visibles le lendemain, Deku s'était servi de la faiblesse de mon corps. Mes tribulations transformées en une arme redoutable entre ses mains, il m'avait imposé une volonté qui n'avait pas lieu d'exister.

Quand sa requête avait franchi sa bouche, j'avais voulu hurler à m'en griller les cordes vocales, pointer sa folie, argumenter toutes les raisons qui la rendaient impossible à satisfaire. Trop sonné par l'incident, j'étais toujours victime de ce manège migraineux, les mots bousculés à l'intérieur de ma boite crânienne manquaient d'aplomb, mon timbre ôté par ce coup de grâce imparable.

En dépit de ma reconnaissance éternelle, je ne digérais pas cette manœuvre traitre, loin de correspondre à son ambition héroïque. Ce petit nerd m'avait enfermé, et depuis, difficile d'écarter les barreaux gelés entre mes doigts sans érafler mes protections.

Je ne niais pas ma part de responsabilité ; lucide ou non, j'avais fauté, mon acte de vouloir chercher ce remède qu'il continuait d'incarner dans un coin de tête et de cœur, d'une absurdité sans nom. Cette envie, réveillée par la drogue d'une puissance phénoménale, avait changé mes barrières en coton. Il y avait fort à parier qu'à ce moment précis, l'image belle et innocente de Deku avait envahi mon esprit, et moi, pauvre subjugué, je n'avais pas pu résister à ses commandes.

Libéré, j'étais parti en quête du seul détenteur du pouvoir d'apaiser mes tourments, l'unique explication à ma téléportation.

Je m'insultais encore, tout en trouvant la farce de mon subconscient très drôle ; se tourner vers cette addiction de couleur verte à laquelle je ne pouvais plus succomber, c'était vraiment à se taper le cul par terre d'idiotie.

Et putain que c'était pathétique !

Deku avait commis l'erreur de m'ouvrir sa porte, quand il aurait suffi de me laisser croupir dehors, la meilleure et la plus sage des décisions, celle sélectionnée par n'importe quel autre être humain meurtri. Au lieu de se barricader, il a fallu qu'il me fasse entrer, qu'il me soigne, qu'il me veille, son complexe de sauveur plus redoutable que sa haine envers moi.

Under : Blue Velvet [Saison 2]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant