de vivre dangereusement

411 40 118
                                    

La sueur écrasée sur le parquet boisé, j'entamai ma cinquième série de pompes, le besoin de me défouler plus fort que le grondement de mes muscles.

Il s'était passé beaucoup de choses pendant deux mois, mais ces sept derniers jours mirent tout mon être à genoux, je ne savais plus où donner de la tête. Mon esprit brouillé de questions, mes nuits, réduites à deux, trois heures maximum, tout se répercutait sur mon corps, souffrant d'un manque de sommeil assez conséquent.

Même dans mes rêves, je tentais d'échapper au rire sardonique de cette partie de moi, incrédule et désabusée de la route prise par mon futur. Une autre un peu plus consciente des efforts ne s'étonnait pas de ce premier tournant amorcé avec succès. Une année entière passée à préparer mon arrivée sans y croire, et me voilà propulsé au rang d'interne en médecine au sein du plus prestigieux lieu de formation. De la part de quelqu'un qui s'était interdit tout projet d'avenir, il s'agissait d'une belle prouesse, ou de l'arnaque du siècle.

Une poignée voyait un type arrogant, mannequin à ses heures perdues. Des chuchotis à majorité masculins jugeaient mon admission inappropriée, ma place volée à plus méritant. Pour la plupart, ma démarche remplissait toutes les cases d'un caprice de gamin, à la recherche du grand frisson, un bistouri à la main. Ces murmures contenaient un fond de vérité, il existait sans doute de meilleur profil, malgré tout, ça ne m'empêchait pas de passer outre ces voix dissidentes. Chaque pierre du chantier posée avec précaution, rien ne me détournerait de sa construction.

De son côté, Deku ne me décocha pas un mot, lors de ma première semaine de reconnaissance. Son refus de communiquer, signe de la distance nécessaire à la digestion de cette percée interprétée sûrement volontaire, formait une protection que je m'interdisais de briser. Il se sentait trahi, déboussolé par cette intrusion dans son quotidien hospitalier. Initier une conversation risquée pour nous deux, l'occasion à la discussion était sans cesse retardée par nos barrières respectives.

Mon ancienne victime pouvait m'ignorer autant qu'elle le voulait, tant qu'elle ne gênait pas ma progression, son mécanisme de défense ne me dérangeait pas. J'aurais sans doute adopté la même attitude à sa place. Son lieu de travail journalier incluait désormais son amoureux clandestin, et moi, l'enculé qui conservait un morceau de son âme dans un coin d'esprit corrompu. À ce coup de massue se mêlait la difficulté à m'intégrer de nouveau dans son quotidien, mon insertion trop soudaine pour être acceptée sans colère. Pour autant, si je la comprenais, j'estimais inutile de légitimer une décision qui ne le concernait pas.

Deku pensait que je le torturais parce que je n'arrivais pas à effacer l'image des lèvres de son petit-ami à cet endroit, la manœuvre inscrite dans un cycle de tourment. À l'intérieur des rouages de sa logique déformée et enragée, je continuais d'incarner l'envahisseur, qui refusait de lui accorder la paix qu'il demandait. Il ignorait qu'il incendiait mon sentiment de culpabilité avec la flamme noire de ses yeux, les rares fois où nos regards se trouvaient. Autant l'un que l'autre, nous désirions garder nos distances, de fait, je ne polluais pas cet air dont il avait besoin pour respirer.

Si l'atmosphère s'allégeait entre nous, peut-être expliquerais-je pour le tranquilliser que ma reconversion ne le pointait pas. Le prestige de la clinique avait précipité sa sélection, toutefois, lui, n'avait pas à se sentir menacé par ma présence. Elle ne signifiait aucun tourment, la carte de la reconquête exclue de mon jeu, ce genre de cliché réservé aux séries télé. Il pouvait rester à l'intérieur de son cocon sans crainte, les travaux colossaux de ma bâtisse professionnelle ne m'offraient pas le loisir de m'éparpiller ailleurs.

Cette chance inespérée, je n'avais pas le droit de la foirer. Bien que je n'imaginasse pas la concrétiser aussi vite, maintenant qu'elle tenait dans le creux de ma main, je ne la lâcherais pour rien au monde, ma voie enfin trouvée. Elle coïncidait avec celle de l'homme à la chevelure verte, mon violon joint dans cette symphonie de la vie. Malgré tout, je ne comptais pas m'évincer juste pour préserver ses nerfs malmenés. Les enjeux de cette représentation ne laissaient guère de place à l'erreur. La partition tournait d'elle-même ses pages, la note atteinte sans résistance par nos instruments contraints de participer dans cet orchestre dirigé d'une main de maitre par un facétieux maestro appelé destin.

Under : Blue Velvet [Saison 2]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant