enculé toujours

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Et merde...

La musique, le bruit, la foule, tout s'arrêta, ce lieu sacré changé tout à coup en théâtre de nos retrouvailles, pour la deuxième fois. Le décor en place, le premier acte allait pouvoir commencer. Pas encore tout à fait prêt à revêtir mon costume, une nervosité paralysante m'envahit, tandis que les trois coups fatidiques retentissaient déjà, l'attention du public réclamée.

Le rideau se levait, la pièce débutait par notre entrée en scène.

Au ralenti, je me tournai vers lui, les assourdissants battements de cœur dans les oreilles, la gorge sèche. Elle arrivait beaucoup plus tôt que prévu, cette confrontation, et à la lueur de ses émeraudes, elle s'annonçait périlleuse.

À quelques centimètres, il tenait droit, les sourcils vers le haut, une expression dubitative sur ses traits, le coin de ses lèvres étiré en un sourire amusé. Il ne s'attendait pas à me voir débarquer, mais ne paraissait pas vraiment surpris ; je formais la prédiction exacte de ses pires cauchemars.

Le temps suspendu à cet instant, un mur de mutisme érigé pour mon propre bien, plus rien ne faisait loi autour de nous, nos pupilles soudés l'un à l'autre. Mon corps retenu par son sort, je peinais à respirer dans cette pesanteur, impossible à briser.

Plutôt que de m'enfuir très loin, je lui rendais son regard en attendant la levée. Dans le plus morbide des silences, il tissait sa toile qui m'emprisonnait, me livrait à sa merci.

Des signaux rouges éclatèrent de toute part, mes sens alertés de ce danger familier. C'était de cette façon que tout avait démarré entre nous, une œillade trop insistante, aux conséquences dramatiques. Dissimulée derrière ces choses qu'il pensait savoir sur moi, ma protection se fragilisait lorsqu'il me contaminait de ses sentiments, l'intérieur de cette carapace pleine à ras bord de ces instants dont il ne se souvenait pas.

Il ne se trompait pas, ses informations collectées reflétaient ma personne dans presque son entièreté. Quand bien même, cette époque commune inexistante, il ne me conviendrait toujours pas, je serais à jamais à ses yeux celui qu'il ne supportait pas : imbu, sanguin, prétentieux, plus encore. Ma faiblesse accablante face au sacrilège commis, une partie de moi restait consciente que je n'avais pas le droit de l'aimer.

— Qu'est-ce qui t'amène par ici ? demanda-t-il, curieux. Tu t'ennuyais tant que tu as décidé de revenir te repaître de l'âme de quelqu'un ?

Cette première gifle méritée, je gardai les lèvres closes. Ma dernière action, additionnée à toutes celles oubliées, au gout amer et à l'odeur puante de ces fautes impardonnables, ce qui sortirait de ma bouche paraîtrait inapproprié. Les mots inutiles, je recevais sans broncher les coups qu'il me donnait dans les tréfonds de son esprit fragmenté, ses émeraudes chargées de me foudroyer en continu.

Affaibli par ce face-à-face imprévu, je ne comptais pas me défendre, il pouvait me blesser autant qu'il le voulait. Ce châtiment s'ajoutait au tourbillon sans fin, apparu dès l'enfance, lors de cette rencontre qui bouleversa toute ma vie. Trop orgueilleux, sans l'ombre d'un doute effrayé, je ne parvenais pas à admettre qu'il représentait déjà à ce moment-là, tout ce que j'admirais en secret.

Il semblait si différent aujourd'hui. L'innocence piétinée, sa lumière aspirée dans les méandres de ses ténèbres, il ne cachait plus ni douleur ni rage, ses cicatrices exposées, y compris celles qu'il ne voyait pas, l'ensemble gravé à mon nom. Parce qu'il en était recouvert, il ne percevait pas mes regrets, ces plaies, qui jamais ne cesseraient de saigner. Et c'était mieux ainsi.

La brillance verte finit par se poser sur mon talisman. Incrédule, elle se colora d'une lueur sombre, son sourire narquois néanmoins élargi.

— Ça alors, si je m'attendais... souffla-t-il, la main vers l'objet.

Under : Blue Velvet [Saison 2]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant