Prologue

678 77 78
                                    

Je t'aime, Katchan.

J'avais tant voulu pouvoir renchérir : « Moi aussi, bien avant toi », mais ce foutu barrage, cette peur panique qui m'avait saisi lorsqu'il prononça ces mots m'en avait empêché. Je n'avais pas le droit de répondre à cette déclaration, eus égard à tout ce que nous avions vécu, dans le présent, comme dans le passé. S'il ne se souvenait de rien, je demeurais hanté par cet accord morbide où résonnait ma trop longue malédiction. Je l'entendais sans cesse dans le crâne, ce rappel qu'en dépit de mes sentiments, rien ne s'effaçait jamais.

La première fois que je rencontrais Izuku Midoriya, il neigeait ce jour-là. Il remontait l'allée, du haut de ses quatre ans, son père derrière lui, alors que je jouais à modeler des boules blanches entassées sans but précis devant chez moi. Sans doute alerté par le bruit, il avait relevé la tête, et m'avait souri, comme si nous nous connaissions depuis une éternité. Ses yeux m'avaient hypnotisé et mon cœur s'était mis à toquer durement contre ma poitrine, la douleur presque insupportable, suffocante. Je n'avais pas aimé cette sensation, mauvaise, désagréable, annonciatrice d'un danger dont je ne pourrais me protéger. Et lorsque je le revis, le lendemain, se présenter d'une voix timide à la classe de maternelle, mon palpitant adoptant un comportement similaire à la veille, cette intuition se transforma en certitude.

J'ignorais pourquoi ce gringalet me suivait, mais il semblait fixé sur l'objectif de me coller absolument partout, m'imitait quelques fois, quand il s'imaginait à l'abri des regards. Moi, je me foutais complètement de ce petit insecte qui criait ce surnom à tue-tête dès que je rentrais dans son champ de vision.

Et il y eut sa main tendue, ses yeux magnifiques emplis d'une sincère inquiétude qui me rendirent fou, les insultes alors proférées, les coups survenus peu après ; l'interprétation de cette aide loin de tout ce que j'imaginais, je n'avais pas compris. J'étais stupide et con, à l'époque, de me croire au-dessus de tout, et de tout le monde, parce que doté d'une intelligence supérieure à la moyenne. Naturellement doué, je ne faisais pas du tout honneur à ce cadeau, pensant que tout devait m'être dû.

Si lui avait réussi à me rayer de sa mémoire, moi, je n'oubliais rien.

Katchan...

J'avais appris à détester ces deux syllabes, à les écraser, les piétiner, mais ce destin ridicule les remit sur ma route, ce soir fatidique où je le revis, bien des années plus tard. Lorsque je le remarquai, assis, entouré de ses deux amis, un souffle de colère et de désir mélangé m'avait possédé avec violence. Il ne pouvait pas se trouver dans mon bar, droit devant mes yeux, j'hallucinais. J'avais fait en sorte de disparaître, de ne plus exister, il n'avait pas la permission de revenir m'obséder à nouveau, pas après tout ce temps passé à chasser son fantôme.

Le hasard décidé à faire de moi sa victime, j'avais prévu de résister à cette fascination qu'il exerçait sans s'en apercevoir. C'était sans compter sur ce putain de diminutif à la noix. À distance, ce murmure, ce pouvoir sur moi, sa force, restait inchangé, et l'engrenage s'était mis en marche parce que je n'avais pas pu me rendre sourd à son appel inconscient.

Il m'avait totalement oublié, on m'avait prévenu, toutefois cela constitua un choc. Soulagé, je profitai de ma position pendant que le manège continuait inlassablement ses tours à une vitesse euphorique. Mais malgré l'exaltation de nos moments charnels, j'étais souvent déstabilisé de le constater, aussi. La nausée, jamais loin, j'avais du mal à suivre, à comprendre mon comportement.

Je ne voyais pas comment arrêter cette spirale, reprendre le contrôle, pire, je ne le voulais pas. En guise de punition, de manière assez sournoise pour échapper à toute maitrise, je retombais amoureux de ce fruit défendu. Soumis à un sortilège trop puissant, je me fichais de bafouer toutes les règles de la décence, de la normalité.

Je l'adorais, cet ensorceleur du nom d'Izuku Midoriya... et je le détestais.

Je m'en voulais à en crever... mais je désirais me laisser aller, prononcer tous ces pardons maintes et maintes fois fantasmés. Il ne comprendrait pas à quel point, pourtant, j'en avais besoin pour apaiser ma conscience torturée, la flamme de la culpabilité enfin atténuée.

Puis, je me souvenais. Je ne le pouvais pas, sans crainte de raviver toute la douleur de ses cicatrices que j'avais causée... Et cette éventualité me faisait trembler comme un gosse qui guette l'arrivée du monstre le soir sous son lit, tandis que, le mot « Lâche », tamponné sur mon front, j'osai le regarder une dernière fois.

À toi, mon enfer, ma damnation, mon élu maudit pour toujours inassouvi...

Je t'aime aussi. Et c'est pourquoi... je dois te quitter.


Saya.V

Under : Blue Velvet [Saison 2]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant