Le garde-fou

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Le patinage avait toujours calmé mes nerfs, depuis tout petit ; c'était le remède à toutes mes afflictions, mon oxygène le plus pur.

Ma mère s'en servait comme récompense à la moindre occasion, mes bons résultats scolaires, parmi d'autres. Glisser seul, jusqu'à ce que mes jambes demandent grâce, l'apprentissage de nouvelles figures sous l'œil bienveillant de mon enseignante préférée, enchantée de mes progrès, formait les cadeaux d'anniversaire idéal. Je m'évadais à l'intérieur de mon antre nourri d'une passion qui enflammait mes veines de magie, la vibration de cette excitation distillée dans chaque parcelle de mon corps, possédé d'un sentiment proche de l'extase.

Le bonheur m'inondait quand mes oreilles captaient le bruit des patins, je planais sous les encouragements de ma maman, je succombais lorsque mes muscles obéissaient à toutes mes sollicitations, parfois douloureuses. Je tombais, souvent, des traces bleues, des écorchures sur ma peau en souvenir. Je me moquais d'elles, le rire élevé dans toute la salle, parce que, malgré les courbatures, les petites blessures, je me sentais vivant, à ma place, au sein de ce monde. Libre, je m'exprimais au travers de cette danse magnifique, mon âme égarée dans le lointain paradis qu'elle avait créé pour elle. Rien de négatif ne pouvait m'atteindre, dans un de ces lieux saints, précieux refuges.

Mon activité favorite montrait ses premières marques de fatigue, au bout de dix-sept années de pratique. Épuisée par les ressources astronomiques déployées à la fuite d'un obstacle colossal, elle renonçait, ma requête rejetée. La frustration recouvrant toute ma chair à vif, mon esprit refusait de s'envoler à l'intérieur de ces merveilleuses rêveries. Je désespérais de rester à terre, enfermé dans cette grisaille à laquelle je voulais échapper sans y parvenir. Les minuscules rayons de soleil ne trouvaient plus la brèche de mon paysage. Je ne les distinguais plus derrière ces nuages trop épais, symboles de mon inquiétude vis-à-vis de la santé d'Eri, la distance de mon compagnon toujours incomprise. Et maintenant s'ajoutait cette partie que je devais déterrer à mains nues, la nervosité grandissante de devoir gérer des imprévus au fil de mon avancée.

Je ne pourrais pas les surmonter, mes capacités surestimées devant la minuterie de cette bombe à retardement. Le compte à rebours avait démarré et, à la vue des multiples risques auxquels je m'exposais, je doutais de pouvoir lutter contre les sursauts de gestes déjà fébriles. Ma protection m'apparaissait trop légère, et je réalisais m'être trop précipité à la signature de ce pacte, la préparation pas assez élaborée, mes épaules pas assez robustes pour supporter le poids des retombées.

J'effectuai une pirouette, tentative absurde de m'effacer, oublier les mots de la nuit dernière, prononcés à la hâte. Ma prière accéléra aussi bien mon palpitant que la vitesse de rotation, j'entendais ma mère crier de ne pas arrêter d'invoquer l'astre diurne. Désireux de le sentir m'éclairer, comme lors de cette époque où je pensais ma famille invincible, où mon azur changeait sans cesse de couleurs, je plongeais tout mon être dans cette supplication. Les yeux fermés, je me remémorai le bleu, le rose, le jaune, ces teintes claires, reflets d'une humeur joviale à toute épreuve.

Mon monde assombrit après l'accident, je me cachais de ce noir si triste, sans réussir à stopper ni sa propagation dans mon cœur ni cette impression d'éternité obscure sur mon ciel recouvert d'un voile mortuaire. Au fur et à mesure des différentes étapes de mon deuil, de mes rencontres, il se modifia par petites touches, sans jamais retrouver sa splendeur d'antan.

Le vœu de remonter dans cette période enfantine, retrouver ce dôme d'innocence jaillit avec une telle ferveur dans mon cœur que ma gorge se noua.

Je m'arrêtai, cet instant terni par une intrusion, un visage que je ne souhaitais pas voir, véritable aimant à problèmes. Plus j'essayais de le repousser, plus il m'attirait contre mon gré, ses paroles imprégnaient mon cerveau emprisonné dans ce tourbillon sans fond. Elles restaient épinglées, en souvenir de mon erreur, celle que Shōto ne pourrait jamais pardonner.

Under : Blue Velvet [Saison 2]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant