De l'obscurité

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L'image sous les yeux, incroyable, n'intégrait pas mon cerveau, affairé à fortifier un bouclier inefficace. La douleur lancinante s'infiltrait déjà, réveillait ces blessures atroces à l'odeur pestilentielle. Je voulais à tout prix ne pas la regarder, pourtant, en dépit des commandes, mes pupilles refusaient de se détourner depuis l'ancrage de ma vision dessus.

Je tentai une ultime fois de me convaincre : je rêvais ; cette présence formait une illusion, les événements de la nuit dernière, un songe long, étrange et déroutant, s'estompaient peu à peu de mon esprit encore embrumé. Tout ce qui se rapportait à cette chose allait bientôt disparaître.

Les signaux envoyés par mon bras pincé m'imposa la dure réalité : aussi désespéré fut le souhait, cette situation invraisemblable ne sortait pas tout droit d'un de mes pires cauchemars...


Le sommeil m'appelait depuis plusieurs heures, la voix néanmoins couverte par ma principale préoccupation de cette semaine.

Tenu dans la chaleur de mon étreinte, le petit être dormait, enfin tranquille après une crise de larmes silencieuse. La joue droite contre mon torse, le corps victime de soubresauts incontrôlés, il semblait plus détendu, malgré les traces du tempétueux chagrin encore visible sur son visage torturé. Le soulagement de ce calme revenu n'apaisait pas mon cœur, écrasé par l'impuissance de ne pouvoir remonter à l'origine du mal de ma patiente, mon organe étouffant à chaque représentation de ce spectacle devenu récurrent.

Je ne cachais plus mon inquiétude vis-à-vis de la santé d'Eri. En apparence, tout paraissait normal : elle continuait de participer à l'exercice avec plaisir, souriait, sa joie transparente à l'idée de ces explorations, ravie de ces découvertes. Sa bonne humeur dépourvue de noirceur, elle donnait la main, la recherche de trésors entamée en compagnie de ses deux acolytes.

Je la sentais néanmoins, cette aura monstrueuse, prête à la dévorer, mais de manière consciente ou non, Eri la contrôlait, la rendait insaisissable, durant le règne de l'astre diurne. Une fois le ciel revêtu de son voile de nuit, épuisée de l'effort en fin de journée, la fatigue appuyait sur sa vulnérabilité, baissait sa garde. La bête nocturne lâchée se nourrissait alors de ses peurs, de ses angoisses les plus profondes.

Acculée, la victime tremblait sans discontinuer, recroquevillée, terrorisée par une menace dont elle connaissait les dangers. Les doigts glacés de mon petit ange sur ma blouse me retenaient, refusaient de me laisser partir, si bien que j'avais la sensation de vivre à la clinique cette dernière semaine. Cela ne me dérangeait pas, mon anxiété continue m'interdisait de la quitter, mon service au bar revu avec Eijiro exprès. Toutefois, le désespoir commençait à tisser une énorme toile de détresse autour de cette affolante suspicion, qu'il se passait quelque chose de grave dans la psyché de cette adorable enfant.

J'aurais tant aimé pouvoir lire ses pensées, ainsi peut-être trouverais-je le moyen de la soigner.

Ce désarroi constant, il me rendait hermétique à presque tout événement extérieur. Grâce à cette forme de refuge, je n'accordais aucune attention à cet imbécile devenu interne au même titre que moi. Pas une parole d'échangée, cet abruti n'existait pas pour moi, hormis de temps à autre, où nos orbes se croisaient, jamais plus de deux secondes.

Dans un autre état d'esprit, sans doute aurais-je pesté contre lui, fonçant tête baissée au-devant d'un épuisant conflit. Son insertion me laissait de marbre, et, de toute façon, une vie entière ne suffirait pas à comprendre la logique de cet idiot.

De la part de quelqu'un d'aussi centré sur lui-même, un métier d'une telle abnégation ne correspondait pas à l'image que je gardais. Il s'était marié, se servait de son corps comme gagne-pain, et se trouvait maintenant au sein du meilleur endroit pour apprendre la maîtrise de ces précieux outils. Les changements continuaient de s'accumuler, mais je refusais d'ajouter le plus parlant de tous dans l'équation : sa présence démontrait une ambition émergée, un mystérieux but à atteindre, il ne pouvait en être autrement.

Under : Blue Velvet [Saison 2]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant