1. hortensia

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NOUVEAU MESSAGE

De : yeddeong

bouge toi nullos je t'attends

Ryujin soupira alors que ses lèvres formaient un sourire et rangea son téléphone dans sa poche, frappant le sol de son pied pour que son skate aille plus vite. Elle ne voulait pas irriter encore plus son amie qui l'attendait. Elles ne s'étaient pas vues en dehors des cours depuis des siècles, les parents de Yeji étant très stricts sur ses sorties. Ryujin accéléra encore, ne souhaitant manquer aucune minute qu'elle pouvait passer avec sa meilleure amie.

On aura peut-être pas cette chance l'année prochaine, quand on ira à la fac.

Elles s'étaient rencontrées à leur entrée au lycée, il y a maintenant plus de 2 ans, et avaient tout de suite accroché, devenant vite inséparables. Elles se ressemblaient peu, mais avaient pourtant suffisamment de choses en commun pour toujours être sur la même longueur d'onde. Elles étaient là l'une pour l'autre, autant pour rire que pour pleurer. Quand Ryujin allait mal, Yeji était là pour elle, et quand Yeji allait mal, Ryujin était là également.

Ryujin sourit, appréciant malgré elle ces pensées niaises. Elle aimait sentir l'air frapper son visage alors elle roula de plus en plus vite. Cette impression de liberté, elle ne l'échangerait pour rien au monde. Elle ne pouvait pas aller bien loin sur un skate, mais elle en préférait la sensation, le contrôle qu'elle avait dessus. Le vent. Elle aimait sentir ses cheveux courts s'envoler et s'empêtrer entre ses lèvres, sentir l'air et la fraîcheur de ce début de printemps toucher sa peau.

Elle se sentait libre, et l'idée que sa seule obligation de la journée soit de venir au rendez-vous que Yeji et elle s'étaient fixées la veille lui convenait parfaitement. Bien sûr, le soir il lui faudrait rentrer chez elle, mais elle préférait ne pas y penser. Ryujin n'aimait pas angoisser, et penser à sa famille n'était pas le meilleur moyen pour éviter ça. Elle soupira.

J'ai bientôt fini le lycée. Je vais pouvoir partir. En attendant, n'y pense pas.

Elle baissa les yeux, soudainement moins enjouée. Et voilà, encore une fois, le simple fait de penser à eux lui coupait toute pensée positive. Elle sourit nerveusement, dépitée.

Je suis pathétique. Je dis me foutre d'eux et pourtant je fais qu'y penser.

Mais elle n'était pas prête à se laisser abattre. Le bruit d'une notification interrompant ses pensées, elle accéléra encore et roula le plus vite possible. Elle savait que c'était Yeji qui s'impatientait, elle avait reconnu la sonnerie qu'elle lui avait assigné. Le sourire lui revint automatiquement, imaginant quel message très agréable sa meilleure amie avait pu lui réserver cette fois.

Elle imagina trop, sûrement, puisqu'elle ne vit pas le magasin de fleurs dressé sur sa route, et trébucha sur un étal disposé devant la vitrine.

« Les chrysanthèmes sont plutôt appropriés pour ce genre d'événements. Ils représentent l'espoir dans des moments où on ne le voit pas forcément, alors ce pourrait être une option madame. »

Lia traversa la boutique en montrant lesdits chrysanthèmes, passant ses doigts sous une tête d'une des fleurs, et releva son regard vers sa cliente. Devant sa moue dubitative, elle prit les choses en main.

« Ce sont les fleurs des défunts. » La vendeuse marqua une pause, sa cliente semblant l'écouter.

« Ils sont à la base porteurs d'un message positif mais le fait de toujours les associer à la mort et au deuil les a rendus assez lugubres au fil du temps.»

Elle ne paraissait pas totalement convaincue, alors Lia se déplaça vers un coin de la boutique où des fleurs de différentes couleurs trônaient.

« Les anémones, annonça-t-elle. « Après la pluie, le beau temps ». C'est peut-être plus positif comme message. »

Le visage de sa cliente sembla s'illuminer.

« Oui, ça me parait parfait. Merci beaucoup, mademoiselle » dit-elle en sortant son portefeuille de son sac.

La jeune fille répondit d'un sourire, se plaçant derrière le comptoir. La porte à double battant se ferma après le départ de sa cliente satisfaite.

Ici, les clients aimaient Lia et son enthousiasme quant il s'agissait des fleurs. Elle travaillait depuis bientôt un an pour ce qui était censé être à la base un simple job d'été, mais sa popularité auprès des habitués de cette boutique de fleurs du centre-ville avait réussi à la faire embaucher à temps plein.

Pourtant, Lia n'aimait pas les contacts. Elle n'aimait pas les inconnus, les situations sociales l'angoissaient au plus haut point et surtout, elle avait horreur de parler.

Seulement, dès qu'il s'agissait de fleurs elle oubliait ses complexes, sa timidité, ses angoisses et devenait quelqu'un d'autre. Elle ne cherchait plus ses mots, elle parlait clairement et assez fort pour qu'il n'y ait jamais besoin de la faire répéter, elle ne bégayait plus, même face à des inconnus. Lia se sentait épanouie, à rester dans cette boutique, entourée de fleurs, ne parlant que d'elles et de la poésie cachée derrière leurs noms et leurs pétales.

Ça l'aidait à se relaxer, de se retrouver ici. Aujourd'hui était un samedi ensoleillé de mars, mais Lia préférait rester dans son élément plutôt que de subir chez elle les rappels stressants, incessants de ses parents sur les examens de fin d'année qui arrivaient à grand pas.

Je suis mauvaise langue. Ils veulent juste le meilleur pour moi. Et je devrais être en train de réviser.

Mais elle ne se leva pas de son siège pour autant. Elle savait déjà ce qu'il y avait à savoir pour les examens. C'était une bonne élève, pas la meilleure de sa classe mais elle pourrait l'être si elle le voulait, si elle ne falsifiait pas ses réponses lors des examens, s'auto-sabotant. Car si les profs étaient au courant de ses compétences, cela ferait d'elle quelqu'un de différent. Les autres la remarqueraient. Et si il y a bien une chose que Lia redoutait plus que tout au monde, c'était de sortir du lot, de se démarquer. Alors, bien trop souvent, elle plaçait volontairement des erreurs lors des contrôles. Lia préférait avoir des notes acceptables qui lui permettaient d'être laissée tranquille plutôt que des notes exceptionnelles qui la mettraient à l'écart. Elle était à l'aise comme ça, connue seulement des clients d'une discrète boutique de fleurs, au croisement de quatre rues. Paisible, sans rien pour la déranger. Jamais.

Peut-être qu'elle s'ennuyait un peu dans cette vie, sans se l'avouer.

Elle se demandait souvent si la petite fille qu'elle était il y a plusieurs années aurait pensé qu'à bientôt 18 ans, elle préférerait passer ses journées enfermée, entourée de fleurs plutôt que de sociabiliser et se faire des amis.

Mais c'était calme. Stable. C'est ce qui compte.

Elle n'avait pas besoin d'amis. La stabilité était la chose à laquelle elle tenait le plus. Oui, tout était stable dans la vie de Lia.

Du moins jusqu'à ce qu'une fille aux cheveux noirs vienne s'écraser dans les buissons d'hortensias, sur la devanture du magasin.

cosmos | jinliaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant