Chapitre 4

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De sombres présages

Je m'assis à la table du petit-déjeuner avec la gorge nouée. Je n'avais rien dit par rapport à la rose hier soir. Je n'étais même pas sûre de vouloir en parler à qui que ce soit. C'était bête, je le savais, mais j'avais peur. De quoi, je n'étais pas sûre. Décevoir ma famille. Du changement que ça apporterait aussi, sans doute. Des galères, de l'inquiétude chez tout le monde. Je me disais que si j'étais la seule à savoir, alors cela restait gérable. Parce que je pouvais faire avec. Mais je ne savais pas si c'était le cas pour les autres, ni comment ils réagiraient. Je ne voulais pas être un fardeau ou une cause de mal-être.

Je tentai un sourire en direction de mes sœurs. Heureusement, elles étaient trop prises dans la contemplation de leurs bols de céréales pour voir s'il sonnait faux ou pas. La soirée avait dû se terminer plus tard que ce que je pensais, vu leurs cernes. Elles se rapprochaient plus du zombie en phase terminale que de la jeune fille en pleine santé.

— C'était bien hier soir ? tentai-je.

Aglaure cligna des yeux au ralenti et tourna la tête vers moi.

— Super.

Sur ce, elle replongea dans l'observation des lettres de toutes les couleurs qui flottaient dans son lait. Peut-être qu'elle y avait trouvé un message caché ?

Je mangeai mes tartines de beurre dans cette ambiance bizarre, avec deux sœurs apathiques, mon père qui finissait de boire son thé, toujours aussi dans le cosmos que d'habitude, et maman qui lisait le journal sur sa tablette.

Quand je me levai de table, Aglaure et Cydippe me suivirent.

— Il faut qu'on te raconte un truc, chuchota la cadette en me dépassant.

Oh dieux, qu'avaient-elles encore fait ?

Je la suivis jusqu'à la chambre d'Aglaure.

Cette pièce illustrait bien la personnalité de notre aînée. Murs blancs, épurés. Un seul poster d'un groupe de rock qu'elle aimait bien au lycée et une photo de ses amis d'enfance, prise pendant une sortie scolaire. Elle avait un panneau en liège sur lequel elle accrochait des notions à retenir pour ses cours, parsemées de marques de fluo. Ce qui était impressionnant, ici, c'était son bureau... et le sol. Jonchés de piles de feuilles plus ou moins ordonnées, de portes-vues et d'autobiographies de philosophes et de psychologues. L'une de ces montagnes de papier m'arrivait quasiment à la taille.

Aglaure prit quelques feuilles qui trainaient sur son lit et les plaça sur un autre monceau, avant de nous faire signe de nous asseoir.

Je m'exécutai et ramenai mes jambes contre moi pour les entourer de mes bras. Je me sentais confortable, comme ça.

— Alors ? demandai-je.

La bonne chose, en s'intéressant aux problèmes des autres, c'est que je n'avais pas à penser aux miens.

— Tu te souviens d'Adrien ? fit Cydippe.

Je fronçai les sourcils. Bien sûr que je me souvenais de lui. Je hochai de la tête.

— Eh bien il se trouve qu'il a un joli ami ténébreux qui fait des études de lettres. Ce qui correspond tout à fait au type d'une certaine personne, n'est-ce pas ?

Elle fit bouger ses sourcils et donna des coups de coudes joueurs dans les côtes d'Aglaure. Je plissai les yeux.

— Qu'est-ce que vous avez fait ?

— Rien ! s'indigna l'aînée.

— N'importe quoi ! Aglaure lui a envoyé un message sur Irisgram et devine quoi ? Il lui a répondu.

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