Chapitre 6

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...Les grands remèdes

Je me sentais déguisée.

C'était le mot. Cydippe avait retourné mes placards à la recherche de « vêtements potables » sans rien trouver et avait fini par aller piocher dans ses affaires à elle.

— C'est F-O-U ! Tu as plus de courbes que moi ! Je ne pensais pas, avec ces fringues larges que tu portes tout le temps. Ça ne te met pas du tout en valeur. À partir de maintenant, n'oublie pas. Pour toi, c'est du serré au niveau de la taille !

Je hochai de la tête, me baissant pour ramasser l'une des robes qu'elle avait jetées par terre dans sa folie pour me trouver quelque chose. Je la tins en face de mon visage, la moue triste. Je l'aimais bien, moi, cette jolie robe fluide blanche. J'avais l'impression d'être une vestale avec. Rien à voir avec celle rouge serrée en latex que Cydippe m'avait faite enfiler de force. Elle m'allait bien, je ne pouvais pas le nier. Elle ne me ressemblait juste tellement pas...

Ma sœur m'attrapa durement la mâchoire pour me barbouiller les lèvres de rouge. Elle me fit un petit sourire, qui cachait presque la tristesse que portaient ses yeux.

— Arrête avec cet air de chien battu. Ce soir, on s'amuse !

Ironique, non ? À moi d'étirer le coin de mes lèvres.

Aglaure apparut dans l'encadrement de la porte. Elle fit tourner ses clés de voitures autour de son index, un sourcil dressé.

— Les filles, c'est l'heure.

Cydippe examina ma forme une dernière fois avant de me prendre la main et de me tirer à sa suite. On croisa maman dans le couloir. Elle faisait étrangement fragile, pour une fois, avec sa posture relâchée et l'air triste dans ses yeux, reflet parfait de celui que mes sœurs arboraient depuis quelques heures. Elle semblait nous avoir attendues. Elle marcha doucement jusqu'à moi et m'enlaça, pressant mon menton sur son épaule d'une main.

Elle renifla. J'écarquillai les yeux.

— Je t'aime. Je sais que je ne le montre pas beaucoup et que j'ai cette image impassible pour vous, mais je veux que tu le saches. Vous perdre, c'est tout perdre. Je déteste l'idée de t'envoyer loin de nous comme ça, de notre propre volonté en plus. Si seulement j'avais le choix...

L'une de ses mains quitta mon dos pour essuyer ce que je devinais être des larmes. Elle mit fin à notre étreinte, ses paumes sur mes épaules.

— Ouh, j'ai l'air bête. Je t'aime, d'accord ? Profite bien ce soir.

Elle sourit, les yeux rouges et les sourcils froncés douloureusement. Je posai une main sur l'une des siennes. Mon nez piquait.

— Je t'aime aussi.

Son pouce me massa l'épaule.

— Allez, va.

Le trajet en voiture dura peut-être une demi-heure, durant laquelle mes deux sœurs mirent de vieilles chansons à fond qu'on connaissait par cœur et qu'on braillait ensemble. Ce n'était pas très juste, mais cela eut l'avantage d'alléger nos cœurs. Je n'avais pas oublié mes soucis, mais ils étaient, disons, un peu plus en arrière-plan qu'avant. Juste assez pour me faire profiter.

Aglaure se gara à cinq minutes à pied environ de la boîte de nuit. Les rues étaient animées, remplies de passants plutôt jeunes en tenues de soirée, déjà bourrés. Une fille manqua de me rentrer dedans alors qu'elle passait en zigzaguant à côté de moi. Elle baragouinait à propos de trottoirs pas droits et insulta un réverbère un peu plus loin. Notre aînée rit.

— On évite de finir comme ça les filles, d'accord ?

Pas que ça me donnait spécialement envie, de toute façon. On dépassa plusieurs bars aux devantures barrées de néons avant que Cydippe reconnaisse la boîte. Le « Cupid » était digne d'un rêve américain : un immeuble complet qui surplombait tous ceux alentour, bardé de lumières clignotantes de toutes les couleurs, avec une queue qui s'étendait sur une trentaine de mètres, que l'on rejoignit rapidement. Les basses faisaient déjà vibrer le sol.

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