Chapitre 5

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Aux grands maux...

Après avoir appris pour la prophétie, on était tous partis se coucher. On s'était mis d'accord sur une chose : il vaudrait mieux en parler l'esprit reposé, après une bonne nuit de sommeil.

C'était une bonne idée, sur le papier. Sauf que je m'étais retrouvée à y penser pendant toute la nuit, répétant les vers dans ma tête. À deux heures du matin environ, j'avais poussé ma couverture à mes pieds et j'étais allée chercher un carnet sur mon bureau, où j'avais noté ce dont je me souvenais... et ce que je comprenais, pour l'instant.

« Qu'en ses plus beaux atours la vierge abandonnée

Attende sur un roc un funèbre hyménée. »

Cette partie-là faisait référence à moi... pour des raisons évidentes. Pour ceux qui ne suivaient pas : j'étais une jeune fille sans antécédents amoureux. Traduit en charabia prophétique, ça donnait une « vierge abandonnée ». Classe, les oracles, oui.

Ce que j'en tirais, c'est que j'allais devoir me mettre sur un rocher dans des vêtements de princesse, où un mariage – un « hyménée » – se présenterait à moi, d'une façon où d'une autre. Un mari, peut-être, plutôt. Enfin, ça revenait au même, de toute façon : je serai arrachée à ma famille pour finir ma vie aux bras d'un inconnu. Et quel inconnu ! C'est de lui dont parlait le reste de la prophétie. L'enfant cruel d'un être immortel, avec des ailes de vautour et assez horrible pour mettre à mal les dieux et les enfers.

Il s'agissait de la partie qui m'inquiétait le plus. À quel genre de monstre avais-je affaire exactement ? Dans un monde comme celui-ci, tout pouvait arriver. Ce futur mari pourrait être un demi-dieu aussi bien qu'une chimère ou un monstre, comme une harpie, mais en version masculine. Un fils inconnu d'une divinité ou d'une autre, qui aurait été maudit. Peut-être qu'il me garderait enfermée dans une cave ou me dévorerait, pour ce que j'en savais. Je ne voulais même pas m'étaler sur la nuit de noce. Rien qu'y penser me nouait la gorge et faisait se retourner mon estomac tant j'étais révulsée à l'idée de faire quoi que ce soit avec un monstre, inconnu qui plus est.

J'avais fini par éteindre les lumières sans oser vérifier l'heure pour ne pas me démoraliser davantage. J'avais alors fixé le vide pendant ce qui m'avait semblé être une éternité, avant de sombrer dans les bras de Morphée sans même m'en rendre compte, pour un sommeil sans rêves.

Je me suis réveillée avec l'impression de m'être endormie quelques minutes plus tôt seulement. Je me levai du lit courbaturée, comme si j'avais dormi dans une mauvaise position. Mes cernes semblaient peser une tonne.

En descendant jusqu'à la cuisine, j'imaginai la discussion qui allait suivre, avec mes parents. Si ça ne tenait qu'à moi, j'aurais sauté dans le premier train venu vers une destination inconnue, en espérant pouvoir déjouer le destin. Ça ne marchait pas comme cela, malheureusement. D'où la nécessité d'en parler.

Papa et maman étaient installés à leurs places habituelles et mes sœurs n'étaient pas encore là. Les voir ainsi, aussi normaux, me procura un étrange sentiment de malaise. Il y avait un décalage entre le problème en cours et cette vision du quotidien. Si je me vidais assez l'esprit, je pouvais presque croire qu'aujourd'hui était une matinée comme une autre, sans soucis. Tout semblait si irréel...

— Quand tu auras fini de manger, va dans le bureau de papa, il faudra qu'on discute.

Maman n'avait même pas levé les yeux de son journal.

Et le petit-déjeuner passa, dans une ambiance que je semblais être la seule à trouver étrange. Aglaure et Cydippe étaient arrivées et avaient discuté de choses triviales. De mon côté, je n'avais pas pipé mot, jusqu'au moment où je m'étais levée de table.

PsychéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant