Psyché

Interlude 3

Éros parcourait le ciel, les ailes déployées à l'extrême pour mieux emprunter un courant ascendant. Il n'en avait pas nécessairement besoin, ses pouvoirs de dieu pouvaient le transporter où il le souhaitait d'une simple inflexion de sa pensée, mais le vol était tellement grisant qu'il préférait privilégier ce moyen de transport archaïque. Et puis, il éprouvait un certain plaisir à l'idée de faire attendre Hestia.

Il avait été invité chez elle, avec d'autres dieux. Il avait accepté seulement parce qu'elle lui avait assuré que le comité serait réduit. Les grandes fêtes olympiennes lui hérissaient les plumes. Trop de monde, trop de liens de parenté et trop d'hypocrisie. Les humains qui se plaignaient de leurs fêtes de famille n'avaient clairement jamais mis les pieds dans une soirée divine. Il ne valait peut-être mieux pas, cela dit. L'engouement des mortels retomberait sans doute un peu s'ils voyaient Zeus dans son état naturel.

Éros frémit. L'image de son paternel, trois déesses mineures aux bras et un caleçon sur la tête, s'était imposée à son esprit. Un moment qu'il s'était efforcé d'effacer de sa rétine à grands renforts de boissons, en vain. Il s'était réveillé avec un mal de crâne olympien et des souvenirs aussi clairs qu'il était possible. Mémoire de dieu oblige. Parfois, il se demandait ce à quoi avait bien pu penser l'Univers au moment de les créer. Quand il voyait la tête de certains de ses semblables, il se disait que le Tout devait avoir un beau sac de dés qu'il lançait à sa guise lorsqu'il s'ennuyait. « Là, une patte en plus », « un seul œil », « queue de chèvre ». Cela lui semblait plausible. Soit c'était cela, soit l'univers manquait fortement de bon goût.

Un amas nuageux important le sortit de ses pensées. Le mont Olympe culminait, protégé des regards curieux par une brume magique. Un moyen pour les dieux de garder une aura de mystère et d'instaurer la crainte chez leurs fidèles.

Il fendit le brouillard et, après quelques instants, celui-ci se dissipa autour de lui, révélant l'illusion. Le mont était un amas rocheux, mégapole divine. Des temples se dressaient partout sur sa surface, donnant l'impression parfois d'être taillés à même la pierre. Leur architecture avait quelque chose d'assez kitsch de par leur nombre, les styles se mélangeant sans considération pour l'œil d'un possible observateur. Ce vomi visuel s'élançait vers le ciel, toujours plus haut, ne trouvant repos que dans les étages les plus élevés de l'Olympe. Là, des divinités de plus en plus importantes séjournaient, vivant dans de véritables palaces, et le faste et le bon goût ne faisaient qu'augmenter jusqu'à son point culminant, là où les douze Olympiens séjournaient.

Éros n'eut pas besoin d'aller si haut. La déesse du foyer vivait dans une maison un peu en contrebas de celle d'Arès. Fidèle à son attribut, elle avait fait construire une demeure qui inspirait la chaleur et le réconfort. Montée sur un rocher et entourée d'un jardin garni d'une balançoire et d'un toboggan, la demeure évoquait tout de la chaumière campagnarde, jusqu'à l'odeur de feu de cheminée qui s'en dégageait.

Éros se posa dans le jardin avec une grâce surnaturelle, d'une façon si propre qu'elle donnait l'impression de défier les lois de la physique. À raison.

La porte en bois, garnie d'une couronne de fleur, pivota. Hestia se tenait sur son embrasure.

— Ce n'est pas trop tôt, vieux dragon. Entre, les autres sont déjà là.

Il ne se fit pas prier.

L'intérieur de la maisonnée était en plâtre et en poutres de bois, agrémenté parfois de pierres. Tout était dans des tons marron et crème, rendu plus chaleureux encore par les bibelots disposés un peu partout sur des meubles et des étagères.

Trois figures étaient installées autour d'une table basse, affalées dans des canapés.

— J'ai cru que tu n'allais pas venir, mon vieux.