Interlude 2

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Aglaure regarda la silhouette du vent de l'Ouest s'effacer au milieu des nuages, le cœur gros et l'esprit en ébullition.

Elle n'avait jamais fait confiance aux divinités et à toutes ces histoires de magie. Pour elle, ils étaient une entrave à la liberté et à l'égalité de chacun, un peu comme des tyrans. Le monde se porterait mieux sans mégalomanes surpuissants à la tête du pouvoir. Ils avaient tous des tares. Elle le savait, ils constituaient quatre-vingt pourcents de ses livres de psychologie, après tout. Dionysos était un addict à l'alcool et aux fêtes, qu'il utilisait pour compenser le manque d'affection parentale qu'il avait eu toute sa vie. Zeus souffrait de satyriasis, l'équivalent masculin de la nymphomanie. Aphrodite avait clairement un trouble de la personnalité narcissique. Quant à Héra, il ne fallait même pas en parler ! Une mania du contrôle, possessive au possible, avec d'énormes dissonances cognitives. Rien de bien incroyable finalement, quand on pensait qu'ils vivaient depuis quelques milliers d'années. N'importe qui en perdrait la boule !

Des êtres extrêmement instables psychologiquement avec des pouvoirs qui dépassaient l'entendement. Cela n'avait rien de joyeux. Elle aurait préféré qu'ils soient des mythes, rien de plus. Sauf que non, ils étaient bien réels et ils foulaient la terre tels des divas, juges et bourreaux de tous ceux qu'ils croisaient. C'était injuste au possible.

Quand elle avait lu la prophétie concernant Psyché pour la première fois, une colère sourde l'avait envahie. Ces monstres osaient toucher à sa famille, maintenant ?!

Ce qui n'avait été que de simples opinions politiques s'était transformé en haine pure. Elle avait comme la certitude que l'univers lui devait un règlement de comptes.

Et maintenant qu'elle avait revu Psyché, elle ne pouvait s'empêcher de remarquer qu'un truc clochait. Sa benjamine était un peu simplette et pas franchement débrouillarde, mais elle savait faire preuve de bon sens. Alors tomber amoureuse en moins de deux semaines, alors même qu'une prophétie l'avait mise en garde contre un monstre ? Cela ne faisait aucun sens.

Ce mari lui avait fait quelque chose. C'était certain.

Elle y pensa sur tout le trajet du retour, alors qu'elle conduisait. Zéphyr les avait transportée jusqu'à un champ abandonné, en-dehors de la ville. Moins de chances d'être suivis, apparemment.

Elle renifla sarcastiquement. C'était complètement ridicule, et cela prouvait bien que ce soi-disant mari avait quelque chose à se reprocher.

Elle avait deux hypothèses en tête, pour l'instant. Soit Psyché avait été menacée et devait jouer l'amoureuse transie pour une raison ou une autre, soit elle n'était pas tombée amoureuse de son plein gré. C'était possible, si le mari était un magicien vendant des philtres d'amour, comme sa cadette l'affirmait.

Ses mains se serrèrent sur le volant. Elle espérait vraiment se tromper. Si jamais elle apprenait qu'il faisait quoi que ce soit à sa sœur alors que celle-ci se trouvait sous l'emprise d'un sort, elle n'était pas sûre de pouvoir se contenir. Elle se débrouillerait pour parler aux bonnes divinités au bon moment et elle lui ferait payer. Sa soif de vengeance ne se tarirait jamais et où qu'il soit, elle lui ferait vivre un Enfer personnel.

En rentrant et après avoir assuré à leurs parents qu'elles avaient fait une super sortie cinéma – Dieux, qu'elle détestait leur mentir –, elle attrapa la manche de Cydippe et la traîna jusqu'à sa chambre. Elle fit un tas des fiches de révisions étalées sur son lit et intima à sa sœur de s'asseoir.

— Dis-donc, rit Cydippe, la maison me semble toute petite maintenant, en comparaison ! Tu crois qu'elle se perd dans ce palace ?

Aglaure esquissa un sourire un peu triste.

— Ah, ça, pour se perdre...

La cadette ne sembla pas capter le double-sens.

— J'aimerais beaucoup me tromper, mais je crois que Psyché s'est mise dans de beaux draps...

Elle expliqua ses dernières réflexions à sa sœur, en omettant toute la partie sur la vengeance terrible et les bains de sang qu'elle avait prévus. Cydippe écouta, le visage crispé. Elle n'avait pas pensé aussi loin. Elle voulait croire que le bonheur de la benjamine était réel, qu'elle avait enfin trouvé une âme sœur – elle ne l'avouerait jamais, mais elle était profondément romantique – et cela avait quelque peu altéré son jugement. Maintenant qu'Aglaure lui avait fait part de ses doutes, un instinct presque maternel et animal s'empara d'elle, comme une lionne protégeant ses petits.

— Qu'est-ce qu'on devrait faire ?

— Déjà, il va falloir tester les eaux. La prochaine fois qu'on la verra, on essaiera de lui tirer les vers du nez et de comprendre si elle est vraiment amoureuse... ou si c'est autre chose. Il faudra avoir une conduite exemplaire, parce que nous aurons besoin de la voir encore une autre fois. Là, il faudra soit lui ouvrir les yeux et lui faire comprendre qu'il n'est qu'un monstre qui la retient prisonnière, soit lui faire comprendre qu'elle aura notre aide si elle veut s'enfuir. Je lui glisserai le numéro d'un ami à moi, son mari pensera à vérifier chez nous en premier.

Cydippe était pendue au bout de ses lèvres.

— Et si ça ne marche pas ?

Aglaure eut un sourire mauvais.

— Si elle ne peut pas s'enfuir, alors nous contacterons Zeus. On pourra tenter d'aller à l'un de ses temples ou alors demander une audience, ça marchera mieux. Ce sera dur à avoir, mais on se battra et on réussira. Il est le juge des dieux : si nous le convainquons, alors nous pourrons libérer Psyché et punir cet imposteur.

Et si cela ne marchait pas, alors elle s'assurerait de tout mettre en son pouvoir pour devenir la personnification d'une deuxième déesse de la vengeance.

PsychéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant