Chapitre 1

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Chez tonton Diony'

Je croquai l'intérieur de ma joue, mal à l'aise. Un garçon venait de se coller à mon dos. Je n'étais pas surprise ; cela faisait un moment que je sentais ses yeux sur moi, derrière son masque. Il avait passé la soirée à me suivre. De temps en temps, il se penchait pour crier quelque chose à l'oreille d'un de ses amis, me désignant de son gobelet d'alcool. J'avais essayé de le semer en me promenant de pièce en pièce mais il n'y avait rien à faire, il ne voulait pas me lâcher.

Je lançai un regard de détresse à la personne en face de moi : Cydippe, l'une de mes sœurs aînées. Avec sa chemise ouverte jusqu'au quatrième bouton et sa mini-jupe en cuir, elle était la cible de plus d'un regard torve. Elle avait d'abord été déçue d'apprendre que Dionysos organisait un bal masqué. Cela voulait dire qu'elle ne pouvait pas user de son joli minois pour attirer les hommes dans son filet. Horreur ! Finalement, elle s'était plutôt bien adaptée à ce handicap : si elle ne pouvait pas miser sur son visage, alors elle mettrait la dose sur son corps – de rêve, comme elle l'appelait. Et le moins qu'on puisse dire, c'était que ça n'avait pas manqué : une foule d'intéressés rôdait autour d'elle comme des insectes attirés par une lampe, bave au coin de la bouche en prime. J'en avais ri en début de soirée, mais maintenant que j'étais celle autour de laquelle un lourdaud tournait, je trouvais la situation tout de suite moins drôle.

Cydippe me lança un clin d'œil accompagné d'un haussement de sourcil suggestif et je roulai des yeux. Cette garce m'abandonnait ! Moi ! Sa petite sœur adorée ! Alors que j'avais tant fait pour elle !

J'aurais dû m'en douter. En tant que seule représentante de la fratrie à avoir une expérience quasi nulle en termes de relations amoureuses – et encore, je n'étais pas sûre que ma tentative désastreuse de sortir avec un garçon au collège compte vraiment –, j'avais droit à un support inconditionnel de la part de ma famille envers le moindre simulacre de partenaire qui se présentait à moi. Même celui que je me coltinais ce soir, apparemment. Je soupirai en réalisant que j'étais livrée à moi-même pour ce coup-là.

Je me retournai et pointai un regard que je voulais méchant dans la direction de Monsieur Lourd, les bras croisés sur le torse et le nez pointé vers le ciel. Maman disait que j'avais l'air ridicule quand je faisais ça, mais de mon côté je me sentais comme une bad bitch et c'était tout ce dont j'avais besoin, à l'instant. Une façade qui contrastait beaucoup avec mon moi intérieur qui n'avait qu'une envie : prendre mes jambes à mon cou et me faire oublier quelque part, loin de cet énergumène. Je n'avais pas vraiment l'habitude des soirées comme celles-ci et je m'en rendais compte puissance mille.

Il me fit un sourire tiré sur le côté qu'il pensait sûrement sexy mais qui manquait beaucoup de naturel et de finesse. Il semblerait qu'il n'avait pas saisi le message. Un frisson de dégoût me parcourut mais j'eus la délicatesse de ne rien laisser paraître, une part de moi le prenant soudain en pitié. Il se pencha un peu plus vers moi et brailla dans mes oreilles :

— On dirait qu'Aphrodite s'est glissée parmi les mortels cette nuit ! Je ne vois qu'elle pour être aussi belle que toi.

Je manquai de m'étouffer. Comment ?! Je m'attendais à ce qu'il se fasse foudroyer sur place, qu'un gouffre s'ouvre sous ses pieds et l'avale ou quelque chose du genre. Dire une chose pareille et chez Dionysos, en plus ? Était-il fou ? Quelques secondes passèrent et aucun châtiment divin ne tomba sur lui, alors je me détendis. Un peu. On ne savait jamais, avec les dieux. Ni s'ils entendaient tout, ni s'ils allaient nous cuire à la broche et encore moins quand. Mais tout de même, dire un parjure pareil et prononcer le nom d'une déesse, c'était suicidaire. Dans un monde où n'importe qui pouvait croiser une divinité en allant faire ses courses le samedi matin, les noms avaient du pouvoir.

PsychéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant