Chapitre 10

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Pendant que le loup n'y est pas

J'étais retournée en forêt. Et à ceux qui disaient que je n'apprenais pas de mes erreurs, qu'ils sachent que j'étais venue équipée, cette fois : pantalon en jean et bottes de marche constituaient ma tenue. Au revoir la touriste en chaussures de plage, j'étais l'alter ego de Lara Croft.

Mes souliers s'enfoncèrent de quelques millimètres dans la boue et je grimaçai. Il avait plu, ces derniers jours, et le sol était spongieux. Cela n'avait pas été très drôle : j'avais passé mes journées enfermée dans ma chambre et puisque je n'avais plus de téléphone, ma seule occupation avait été la lecture. La bibliothèque était immense mais semblait peu utilisée. On y trouvait beaucoup d'ouvrages scientifiques, peu de fictions. La plupart d'entre elles étaient des classiques. Je n'aimais pas ça, normalement, mais Jules Verne s'était avéré un bon compagnon d'infortune. J'avais l'impression de voyager avec lui, ce qui me manquait terriblement. C'était peut-être pour cela que j'avais décidé de sortir à nouveau en forêt ; à trop lire d'odyssées fantastiques, je voulais en simuler une. Quelle chance ! La forêt d'à côté abritait même des créatures magiques, je ne pouvais pas rêver mieux pour mon propre Voyage au centre de... eh bien, bonne question.

J'étais partie sur un autre sentier, cette fois-ci. J'avais aperçu un faible cours d'eau à l'orée des bois, qu'on pouvait franchir à l'aide d'un très mignon pont en rondins, puis suivre au cœur de la forêt. Dans l'idée, si je gardais toujours ce ruisseau à portée de vue, je pouvais retrouver le chemin pour rentrer. Un plan infaillible, digne de l'aventurière des temps modernes que j'étais.

Je serpentai ainsi à travers les arbres pendant au moins une heure. La végétation était toujours plus dense, le cours d'eau de plus en plus large et son flot de plus en plus rapide, le sentier de moins en moins défini. Cela ne faisait aucun doute : je m'enfonçais au cœur de la forêt. Les oiseaux semblaient plus nombreux, leur gazouillis plus fort et plus proche. Ils n'avaient pas peur de l'intrus que j'étais. Une part de moi s'imaginait que c'était parce que j'avais tout de la princesse de conte de fées, l'autre se demandait à quel gabarit d'oiseau j'avais affaire pour les laisser de marbre.

Je dépassai une série de bouleaux et retins un cri de joie en levant les yeux : un lac ! C'était là que se déversait le ruisseau, au milieu d'une clairière. Un amoncellement de rochers de trois mètres peut-être surplombait et occupait une partie de la surface de l'eau. C'était féérique. Tout y était : les libellules, les petites fleurs violettes, les rayons de soleil qui tombaient paresseusement sur le lac et sa berge. On aurait dit l'une de ces peintures académiques du XIXème siècle. Seule pièce manquante, une tripotée de nymphes en train de se baigner nues.

Je déglutis. Oh, oh...

Je n'eus pas le temps de réaliser dans quel pétrin je m'étais fourrée. Une main surgit de nulle part et attrapa mon poignet droit, l'autre mon col. En moins de deux secondes, j'avais basculé contre un petit corps et je gisais, par terre, sur le dos, le souffle coupé et les vêtements et les cheveux couverts de boue.

— Qui t'es et qu'est-ce que tu fais ici ?!

Je levai les yeux en direction de la voix.

Une enfant. La personne qui venait de me mettre au tapis était une enfant. Avec de jolies boucles dorées, une robe blanche adorable, des joues rougies par la colère et des flammes dans le bleu des yeux. J'hésitais entre l'adoration et la terreur.

Elle lâcha un rugissement de rage et je me rappelai soudain qu'on m'avait mentionné une nymphe-enfant à plusieurs reprises. Je roulai sur le côté et me remis sur pieds avant de reculer, les paumes en avant.

PsychéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant