Oikawa finit sa tasse de thé, un sourire satisfait plaqué sur ses lèvres collantes de miel. S'il y avait bien une chose qui, au-delà des frontières linguistes et culturelles, exprimait universellement une suffisance écœurante, c'était bien le sourire béa qu'affichait le châtain après avoir étanché sa soif de potins et de théine. Kuroo mordit énergiquement dans son pain-chocolatine – parole inclusive pour rassembler les différentes appellations de cette madeleine de Proust – et Iwaizumi se contenta d'un regard désabusé.
- En résumé, Bokuto a encore fait des siennes, s'exclama le châtain en poussant un soupir faussement ennuyé – en réalité, il adorait quand son meilleur ami se mettait dans toutes sortes de situations, car il fallait avouer, toute objectivité mise de côté, que le statue d'« ami dévoué toujours à la rescousse » lui allait comme un gant.
- Ça t'étonne tant que ça ? Grommela Iwaizumi.
- Non, mais c'est plus dramatique, rétorqua-t-il.
Iwaizumi ne prit pas la peine de lui faire une leçon sur les questions rhétoriques, action qui équivaudrait très certainement à parler à une profiterole. La bouche médisante de Kuroo livra passage à un rire ironique, dégradant quelque peu le sourire d'Oikawa.
- Ah, je l'ai trouvé, dit Iwaizumi, qui n'avait cessé d'agiter fiévreusement ses pouces sur son cellulaire. Il est sur le terrain vague, et visiblement, il est accompagné.
La gorgée de jus d'orange, qu'avait l'infortune d'avaler Kuroo au même moment, rétropédala brusquement pour ressortir par ses narines. Quelques goûtes de la boisson chimique vinrent éclabousser la joue du châtain, qui l'essuya du revers de sa manche en râlant.
- Comment ça il est accompagné ?! Non mais je rêve ! Il nous abandonne, nous, ses meilleurs amis, pour un parfait inconnu ! S'outragea le noiraud en compressant rageusement la brique de jus dans son poing.
- Que tu peux être possessif, Kuroo chou ! Railla Oikawa.
- Vous ne pensez pas, dans vos têtes de pauvres nouilles, que c'est louche – outre le fait qu'il soit avec quelqu'un d'autre que nous ? Grogna Iwaizumi.
Un silence parfait lui répondit. Oikawa, dont la mâchoire distendue pendouillait mollement, tel un membre étranger à son visage, le dévisageait avec l'air d'un abruti prit dans le tumulte d'une réflexion péremptoire et insolite. Ce fut Kuroo qui le brisa en éclatant d'un rire aigu, bientôt imité par le châtain - qui n'en gardait pas moins ses grands yeux ronds. Iwaizumi fronça d'abord les sourcils, ne parvenant pas à saisir le burlesque de la situation. Voyant des plis d'incompréhension se dessiner sur le front du noiraud, Kuroo, dans un élan de compassion, s'empressa de reprendre assez de souffle pour allumer la lanterne de l'ignorant.
- Tu nous as traité de... de pauvres... pauvres nouilles ?! S'étrangla Kuroo en déglutissant au maximum pour éloigner tout risques d'étouffements salivaires.
- Attendez, je vous fais part de mes soupçons, et vous, tout ce que vous trouvez à faire c'est retenir la seule expression de cette putain de phrase qui soit putain d'inutile ?!
Le visage rouge d'agacement d'Iwaizumi déposséda le noiraud de toute envie de rire, et il ravala son petit sourire à contre cœur.
- Je crois... Non, en fait, je suis sur, que vous ne saisissez pas l'urgence de la situation – si tant est que mon hypothèse se confirme. Mais cela m'étonne-t-il réellement ?
L'option littérature lui avait visiblement réussi, et il se gargarisa de leur tenir un tel langage, qui leur permettrait très certainement d'élever le leur.
- Putain de bordel, j'ai raison.
- Iwa, cesse avec cette rhétorique de bas étages. A quoi te sert l'option littéraire si tu gardes toujours le même langage ? s'exclama le châtain à peine sortit de sa transe.
- C'est sur que toi tu n'as même pas pris la peine... remarque, c'est bien de ménager son seul neurone.
Oikawa poussa un borborygme scandalisé qui fit sourire le noiraud.
- Pourquoi tu as dit que tu avais raison, Iwa ? Reprit Kuroo en prenant un soin tout particulier dans le choix de ses mots – un Iwaizumi en colère, très peu pour lui ; il avait la main légère dans ces moments-là.
- Regarde, j'ai fait un zoom sur l'image renvoyé par le drome.
Du bout de l'indexe, il tapota plusieurs fois de suite l'écran de son téléphone, tandis que l'image s'agrandissait en cadence. Ils purent bientôt distinguer les contours du visage de Bokuto, figé en une expression crispée, aux côtés d'un garçon aux cheveux blonds visiblement endormi. Kuroo plissa les yeux pour mieux distinguer l'inconnu, qui après une mure observation, n'en devint plus un.
- Je connais ce joli visage, murmura Oikawa.
- Ces sourcils, cette teinture mal faite... ne me dis pas que c'est...
La mâchoire d'Oikawa alla une fois de plus balayer le sol, et ses yeux s'écarquillèrent tant que Kuroo dut résister à l'envie d'aller chercher sa règle pour mesurer l'écart creusé.
- Si. C'est Atsumu.
Et encore une fois, la véritable gravité de la situation passa à l'as chez Oikawa, dont la bouche se tordit en une grimace dégoûtée.
- J'ai dit... Oh mon dieu... comment ai-je pu... Vite, des ablutions ! Je dois purifier ma langue !
- Une petite minute, Atsumu n'est pas censé être en mission à l'heure qu'il est ? Continua Kuroo en faisant fi de son voisin qui tirait théâtralement la langue en secouant les bras.
- Si justement.
- Oh non. Bokuto a encore utilisé son sablier, c'est ça ?
Iwaizumi essuya une larme imaginaire en saisissant les épaules du noiraud, qui sursauta. Il leur avait fallu du temps, mais ils y étaient finalement parvenus. Avec deux cerveaux et demi - Oikawa ne leur était décidément d'aucune utilité -, ils étaient enfin tous sur la même longueur d'ondes. Iwaizumi jeta un coup d'œil à sa montre. En seulement vingt minutes. Une véritable prouesse. Un petit pas pour l'homme, mais un grand pas pour eux.
- Exactement, Kuroo. Merci, Kuroo.
L'accentuation volontaire et grossière qu'effectua le noiraud sur le prénom de son ami fit bouillir le sang Oikawa, qui s'enquérait jusqu'à présent de l'état de santé de sa langue, souillée par de viles paroles, grâce à son miroir de poche.
- Donc, on fait quoi ?
- L'aider, très peu pour moi, j'en ai marre de jouer les justiciers, répondit aussitôt Oikawa.
Son mensonge ne trompa personne et il fit face aux mines dubitatives de ses deux amis.
- Je suis quasiment sûr de t'avoir entendu penser le contraire tout à l'heure.
Kuroo lança une œillade abasourdie à Iwaizumi. En principe, les pensées étaient muettes. Peut-être était-ce une simple expression. Mais la mine boudeuse d'Oikawa, signe que l'affirmation du noiraud était véridique, conforta Kuroo dans l'hypothèse que ces deux-là détenaient un terrifiant pouvoir de télépathie.
- Moi c'est ok, au cas où vous vous poseriez la question, s'exclama Kuroo en se désignant du pouce.
- Bon, et bien on part dans cinq minutes. Tenez-vous prêt, et Oikawa, par pitié, range-moi cette langue.
Et sur ces bonnes paroles, Iwaizumi disparut en émettant un petit « ploc ». Oikawa s'empressa de ravaler sa langue et d'épousseter sa fierté piétinée. Il échangea un regard provocateur avec le noiraud, alors que le corps de celui-ci se ramollissait, s'allongeait, s'étendait et se rapetissait, jusqu'à ce qu'il prenne la forme d'un chat noir aux yeux perçants. Le châtain avança une main moqueuse pour lui gratter l'échine, ce à quoi l'animal répondit par un feulement irrité. Puis ils disparurent tous les deux, laissant dans leur sillage une tasse de thé rose criard et une brique de jus à moitié écrasée.
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🌻 50 nuances d'évanouissement 🌻 || Atsuhina ||
FanfictionAtsumu est une plaie pour tout le monde, et même un univers parallèle ne voudrait pas de lui.