Chapitre 12

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 Le fumé malodorant qui flottait dans l'air et contraignait Atsumu à prendre de grandes goulées toutes les deux minutes ne semblait pas le moins du monde indisposer l'odorat peu délicat de Kenma, qui continuait d'approcher  - plus que ne le pourrait jamais Atsumu - son nez du liquide frémissant et de froncer des sourcils peu satisfaits. Alors il saisissait un grand couteau et coupait finement des lamelles d'ingrédients diverses, guettant l'heure sur son téléphone dernier cri avec une moue troublée.

Maintes fois le blond tenta de lui proposer ses services pour nettoyer le plan de travail – ou plutôt le champ de bataille-, veiller sur la cuisson, découper lui-même les ingrédients, y compris surveiller la pendule qui, depuis trois bonnes heures, les chaperonnait d'une aura comminatoire. Kenma, quand il le daignait, balayait d'un revers de main crispé ses suggestions, le priant simplement de respecter son silence concentré. Atsumu, dont le comportement digne d'un enfant ennuyeux et ennuyé avait fini par venir à bout de la patience du meilleur ami d'Hinata, recouvra un calme qui lui était progressivement devenu propre depuis son arrivée, et se confondit en repentirs télépathiques. Mais le naturel revient systématiquement au galop, encore plus vite lorsqu'il s'agit d'Atsumu, aussi combla-t-il au pied de la lettre cette expression et tenta d'amender sa faute en nettoyant le sofa recouvert de poils félins, troublant à nouveau la précieuse concentration de Kenma.

- Atsumu, tu ne voudrais pas aller faire un tour, s'il te plaît, ajouta-t-il en désespoir de cause.

Comprenant malgré lui qu'il était allé trop loin dans son effusion de bonnes actions, il s'inclina respectueusement, et sortit de la pièce, reprenant goût à un air frais et sain. Il caracola de s'y de là, saluant des personnes inconnues et découvrant chaque recoin du château – décidément mal isolé.

Arrivé dans un cul de sac, il se laissa glisser le long de la paroi glacée dont les pierres éraflèrent son t-shirt de seconde main. Sa tête ballotta de droite à gauche avant qu'il ne se décide à relâcher la pression et, par la même occasion, la force qu'il exerçait sur ses paupières alourdies. Ainsi sombra-t-il paisiblement, assouplissant sa garde.

Il fut tiré de son sommeil paradoxal par un grand fracas, mêlé à d'insupportables bruits de pas précipités. Il bondit comme un diable en boîte, parfaitement réveillé, pour apercevoir, à une centaine de mètre de son emplacement, un Oikawa tourmenté aux yeux ronds comme des soucoupes qui s'affairait étrangement devant une porte. Lorsque leurs yeux se rencontrèrent, ils trahirent tout quatre la même émotion, vive et saisissante. Stupéfié, le châtain se précipita à ses côtés, la bouche tordue en une expression alarmée.

- Atsumu, oh mon dieu Atsumu ! On t'a cherché partout ! Kemna nous a dit qu'il t'avait demandé de sortir, mais qu'il n'avait aucune idée d'où tu te trouvais. La potion est terminée,  Kuroo et Bokuto n'ont pas arrêté de m'appeler pour te prier de te dépêcher.

Le châtain n'eut pas à en dire plus, car, au bout de la seconde phrase, le blond filait déjà comme une flèche à travers les couloirs étroits, enfonçant presque dans sa précipitation la porte pétante de la chambre. Kenma lui tendit immédiatement une fiole au contenu épais et grumeleux. Atsumu ne se posa pas de questions, se contentant d'un rictus discret lorsque le liquide noir et fumant coula le long de sa gorge. Il déglutit rapidement, quoi qu'avec quelques peines, et, se tournant vers Oikawa qui l'avait suivi d'un pas moins empressé :

- Cette odeur... Oikawa, pourquoi as-tu la même odeur que la potion de méta-

Il ne put terminer sa phrase, mordu au plus profond de son être par une douleur instantanée, qui satura ses fonctions motrices. Au prix d'un ultime effort, il agrippa l'épaule la plus proche, plantant ses ongles soudainement aiguisés dans une chaire tendre.

- Ce n'est pas-, entendit-il faiblement, avant de tomber en pâmoison.

Une vague d'eau gelée lui cingla violemment le visage et lui fit reconquérir ses esprit. Kenma le fixait de ses pupilles réduites à deux fentes, un saut vide à la main. Derrière lui, Oikawa interrompit sa conversation téléphonique animée pour s'avancer à sa rencontre, palpant son front d'un air perplexe.

- T'es vraiment une petite nature. Cette potion je la prends tous les jours et je n'ai jamais plus que de légers maux de tête !

Atsumu se redressa, prenant appui sur ses mains pour replacer son buste à la verticale. Le regard gagné par la panique qu'il obliqua sur le miroir que lui tendait Kenma manqua de le faire retomber dans l'inconscience. Il était à présent la copie conforme de son vis-à-vis, à la différence près que ses iris gardaient leur reconnaissable éclat noisette. Ce détail attira tout particulièrement son attention.

- Pourquoi je n'ai pas les yeux dorés ?

- Parce que la potion fonctionne sur toutes les parties du corps, mis à part la couleur des yeux.

Atsumu hocha la tête, bondissant pleinement sur ses pieds. Son équilibre laissait encore à désirer, mais le temps pressait, comme ne cessait de lui rappeler le châtain en répétant à intervalles réguliers l'aller-retour entre le cadran de la pendule et la porte d'entrée d'un regard lourd de sens.

- Tu te rappelles où est l'aile nord ? Demanda Kenma avec une parfaite présence d'esprit.

- Troisième couloir à droite, murmura Oikawa en lui adressant un clin d'œil.

Le blond amorçait un pas pour franchir définitivement le seuil quand il se vit entraîner dans une chaleureuse accolade par nul autre qu'Oikawa, qui lui ébouriffa les cheveux en souriant, les yeux humides. Kenma lui sourit, et Atsumu rit.

- C'est la première fois que je t'entends rire, je crois, fit laconiquement remarquer le châtain.

« et la dernière fois » Lui fit tristement écho le silence. Alors seulement Atsumu s'élança vers l'aile Nord.

Arrivé là-bas, il n'eut aucun mal à distinguer dans l'obscurité la silhouette élancée du rouquin. Un détail cependant l'interrompit dans son élan. Le t-shirt que portait Hinata, noir aux manches orange, cette même tenue qu'il portait le jour de leur rencontre, n'avait aucune déchirure dans le dos. Or, s'il avait sur le dos la  même étoffe depuis trois jours, ses ailes impatientes d'éclore et de se déployer majestueusement avaient dû pour se faire percer le tissu. Mais là où aurait dû s'étaler une effiloche - ou que sait-il -, le narguait seulement le rien. Les fils intacts ne s'entremêleraient pas mieux, leur cohésion n'en serait pas moins forte, si le vêtement avait été né de la dernière pluie.  Alors seulement, le blond comprit. S'approchant du pantin à l'effigie du rouquin, une simple pichenette hargneuse le fit basculer face contre terre. Il s'était fait rouler dans la farine. Ce dessein, qu'il croyait être le sien, n'était qu'une machination, orchestrée d'une main de maître. Cette soudaine fatigue, cet évanouissement...Six lettres, quatre voyelles couplées à deux consonnes, un nom, lui vint immédiatement en tête. Oikawa. Oikawa, qui avait de son propre chef avoué consommer la potion de métamorphose. Oikawa, qui avait habilement glissé le mauvais itinéraire dans la discussion. Oikawa, qui s'était empressé d'approuver son plan. Oikawa... aux grands yeux noisettes, reconnaissables entre tous. Après tout, Atsumu était bien placé pour le savoir.




🌻 50 nuances d'évanouissement 🌻 || Atsuhina ||Où les histoires vivent. Découvrez maintenant