𝟑.

1.1K 74 0
                                    















Le Conseil se tenait dans une vaste salle, le rouge et le doré comme couleurs prédominantes. La lumière filtrait à travers les vitraux, projetant des ombres multicolores sur le sol. Autour de la table, des seigneurs conversaient à voix basse, certains debout, d'autres déjà assis. Sans attendre qu'on m'y invite, je pris place, provoquant un silence immédiat. Le Duc Centelles, un homme à l'allure sévère, prit la parole en premier :

« Mademoiselle Borgia, puisque vous semblez décidée à représenter votre famille, nous serons brefs. Des rumeurs évoquent des soulèvements dans les terres du Nord, semble-t-il, par certains de vos alliés. Pourriez-vous éclaircir ce point ? »

En d'autres termes, ma famille risquerait de perdre le peu de contrôle qu'elle a dans ces terres si ces rumeurs s'avèrent vraies.

La faute à qui ?

Je serrai la mâchoire en repensant à Cesare.

Après la conquête, les terres avaient été réparties et il n'avait reçu qu'un modeste territoire. Malgré son mécontentement, il l'avait maintenu sous un contrôle rigide. Mais à force d'imposer la terreur et la répression au peuple, il n'avait fait que nourrir une tension déjà présente —l'élément déclencheur de cette situation. Mais Cesare n'était pas le seul fautif. Après tout, beaucoup de ces mêmes seigneurs étaient responsables des taxes étouffantes, de ces impôts qui avaient fini par susciter la colère populaire. Le voilà le vrai problème. En revanche, si mon frère avait cherché à tirer profit de ce problème pour agrandir ses terres, à étendre son pouvoir au-delà des limites qu'on lui avait donné, cela n'aurait rien de surprenant. Il n'était pas un homme qui se contentait de ce qu'on lui donnait. Il en voulait toujours plus.

Mais ils n'avaient pas besoin de savoir cela.

Si je m'appuie sur le premier enjeu, j'aurais l'avantage.

« Ces rumeurs circulent en effet, mais elles ne sont que cela : des rumeurs. » dis-je calmement. « Aucune preuve pour ces accusations, n'est-ce pas ? La tension grandit dans les territoires du Nord, et bien sûr, certains en sont préoccupés. Mais ces troubles ne sont pas causés par notre maison, comme certains le sous-entendent. Il s'agit, là, de la conséquence des taxes excessives imposées par certains d'entre vous. Les seigneurs devraient peut-être revoir leurs méthodes de collecte. »

Un murmure outré parcourut l'assemblée. Le Duc Centelles fronça les sourcils et répliqua d'un ton sec :

« Vous êtes habile avec les mots, Mademoiselle, mais vous ne pouvez balayer nos inquiétudes d'un simple discours. Ces troubles dans nos terres ne sont peut-être que le reflet de ce que certains appellent l'influence Borgia. Une influence marquée, disons, par des méthodes spécifiques, voire toxiques, n'est-ce pas ? »

Des chuchotements approbateurs fusèrent autour de la table, et Dürerr, un noble attaché à la noblesse masculine, renchérit avec un sourire méprisant :

« Vos frères avaient mieux à faire ailleurs et ils s'en sont remis à un charme plus adapté aux circonstances. C'est bien le style des Borgia, n'est-ce pas, de déléguer ce genre de tâches ? »

Pardon ?

« Une touche de grâce ne nuit jamais, j'en conviens, mais le pouvoir... Est-ce vraiment fait pour des mains aussi délicates ? »

Les éclats de rire se firent plus nombreux, certains d'eux échangeant des clins d'œil.

Écœurant.

Je me retins de grimacer, mes poings serrés sous la table.

« Il paraît que tout est permis quand il s'agit de manipuler... » ajouta un autre. « Qu'allez-vous faire ? Ou plutôt à qui pensez-vous acheter des faveurs cette fois ? »

Je levai les yeux au ciel, me détachant de leurs bavardages. J'en avais assez entendu. À la place, je m'imaginais la sérénité d'un moment au bord d'un lac. Mais non, j'étais ici, contrainte d'écouter ces hommes brailler des inepties plus vastes que leur propre ego, comme s'ils étaient dépourvus de la moindre conscience. Mais n'est-ce pas ce qui est censé nous distinguer des animaux, la conscience ? Pourtant un dialogue avec ours aurait été plus fluide et sensé.

Pathétique.

Je revins à la réalité et laissai mon regard traîner d'un noble à l'autre.

Leur vision du pouvoir se limite donc à cela ?

« Vous me voyez telle quelle, Messieurs, parce que je manie le pouvoir, parce que mon sang est noble et que je ne baisse pas les yeux devant vous. » lâchai-je d'un ton glacial. « Vous pouvez bien chuchoter. Parler de poison et de manipulation. Mais, si cela était vrai, alors posez-vous la question : pourquoi êtes-vous encore ici à discuter avec moi, plutôt que d'être tombés sous le poids de, je cite, "mes méthodes toxiques" ? Est-ce si dérangeant pour vous de voir que la diplomatie et le pouvoir ne sont pas l'apanage de votre sexe ? Ou bien est-ce simplement que vous n'avez jamais pu les manier avec la même efficacité que moi, que ma famille ? »

Certains détournèrent les yeux, piqués dans leur orgueil. D'autres, le regard noir, savaient que je venais de jeter le gant et se demandaient qui allait le relever.

Maintenant qu'ils m'écoutent, je peux me lancer dans le vif du sujet.

« Quant à cette révolte que vous nous reprochez, parlons-en. Vous vous demandez si les terres du Nord pourraient tomber sous l'influence de certains de mes alliés, et par conséquent de la nôtre. Peut-être devriez-vous vous demander comment vos propres sujets en sont arrivés à là. Après tout, vous-mêmes n'avez-vous pas extorqué, affamé et asservi vos terres jusqu'à la limite du supportable ? Si la colère gronde, elle ne vient pas des Borgia, mais bien de vos choix de gouvernance. Alors, la prochaine fois que vous cherchez des responsables à vos problèmes, Messieurs, je vous suggère de regarder dans vos propres rangs. »

Je me levai, repoussant ma chaise avec un sourire aux lèvres.

« Si vous avez encore des doutes quant à l'influence de ma famille, n'hésitez pas à vous en inquiéter. Mais sachez que je resterai toujours prête à répondre à vos accusations avec autant de patience qu'il me faudra pour vous rappeler votre propre incompétence. D'ailleurs, la prochaine fois que de telles accusations refont surface, je veillerai personnellement à ce qu'elles soient examinées devant le Conseil Judiciaire. Peut-être qu'un cadre légal vous rappellera ce qu'il en coûte de diffamer sans preuve ? Sur ce, je vous souhaite une excellente journée. »

Je quittai la salle, satisfaite. Une fois dehors, le vent me frappa, apaisant mon front en feu par tant d'absurdité. Je levai les yeux vers le ciel et là-haut, des mésanges volaient ensemble.

Est-ce celle que j'ai libérée ? S'est-elle joint à elles ? A-t-elle trouvé sa liberté ? Ou erre-t-elle sans but dans ce monde immense et effrayant ? Comme moi ?

« Madame, votre carrosse est prêt. Où souhaitez-vous aller ? »

Je ramenai mon attention devant moi pour voir mon cocher, son chapeau entre ses mains comme signe de respect. Je ris sarcastiquement, massant une tempe pour apaiser la migraine qui m'avait saisie.

Comme si j'avais mille choix...

« Rentrons à la maison. »












𝐁𝐎𝐑𝐍 𝐓𝐎 𝐃𝐈𝐄Où les histoires vivent. Découvrez maintenant