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Trois semaines étaient passés depuis ma chute et je parvenais à mieux marcher. Bien que chaque pas était encore accompagné d'une légère douleur, le fait de retrouver un semblant de mobilité était déjà une victoire.
Assise dans un fauteuil du salon, je faisais tourner entre mes doigts une étoile en verre jusqu'à ce que le bruit d'un plateau posé sur la table me ramène à la réalité.
Je levai les yeux pour voir Elise.
« Je vous ai apporté un chocolat chaud.»
« Merci, Elise. Prenez place, je vous en prie. »
Son visage s'éclaircit et elle s'assit en face de moi. Elle versa le chocolat dans une tasse et me la tendit. La portant à mes lèvres, la saveur me surprit immédiatement.
« C'est... différent. » haussai-je un sourcil. « Mais c'est meilleur. »
« C'est une recette populaire auprès de la régence Iispanienne. Ils ajoutent des épices pour intensifier le goût du cacao. J'ai pensé que vous pourriez l'apprécier. »
Iispanie ?
Je repensais à mon troisième mari, à ce cadavre étendu dans le salon.
Le troisième...
Il avait été le plus clément de tous. Non pas aimant ni passionné, mais respectueux. Avec lui, il n'y avait eu ni cris, ni de mains levées. Il venait même me voir dans mes appartements, non pas pour chercher ma compagnie, mais pour demander mon avis sur des alliances à négocier ou même... sur elle —une femme du peuple. À l'époque, après m'être confiée de n'avoir jamais quitté le château de toute ma vie bien que mon rêve d'enfant ait été de voyager aux côtés de mon père, il m'avait promis un voyage dans son pays natal. Mais il n'avait jamais pu tenir sa promesse, la mort l'ayant emporté avant.
« C'est exquis. Vous avez décidément de bons goûts. »
Elle rougit avant d'ajouter :
« Oh, j'oubliais... ! Le médecin a trouvé une solution pour vos cachets. »
Elle prit la petite boîte posée sur le plateau et l'ouvrit pour me la présenter. À l'intérieur, de petites pastilles brunes étaient disposées en rangée.
« Des cachets au chocolat ? »
« Oui. Il s'est inspiré des chocolats que votre père rapportait de ses voyages. Il a pensé que cela rendrait la prise plus agréable. »
Je pris une pastille et la portai à mes lèvres. Elle fondit, laissant place à une saveur sucrée et légèrement amère.
« C'est ingénieux... À quoi sert celui-ci ? »
« C'est un somnifère. Cela devrait vous— »
Elle fut interrompue par un léger toc à la porte. Une domestique entra, portant une lettre dans les mains.
« Mademoiselle Borgia, cela vient d'arriver pour vous. »
Je sentis mon cœur se serrer en apercevant le blason. Cesare.
Encore ?
Je tendis la main pour la saisir.
« Merci. Sortez un instant s'il vous plaît. »
Elles s'éclipsèrent. Désormais seule avec la lettre, je l'approchai du chandelier, la flamme décollant progressivement la cire avant de pouvoir la déplier.
Ma Tendre et Chère Sœurette,
Je suis profondément peiné par les épreuves que vous avez traversées dernièrement. Entre les poisons de la Comtesse Adélaïde et cet accident malheureux dans les escaliers, mon cœur se serre à l'idée de ne pas pouvoir être à vos côtés. J'espère néanmoins que votre état s'améliore et que vous recevez toute l'assistance nécessaire. Cependant, je suis contraint de solliciter votre aide pour une affaire, rien de trop difficile et rien que vous n'ayez déjà fait. J'ai besoin d'informations précises sur le Duc Clarisse Orsini et son implication dans les mouvements troublants à l'Est. Il ne fait guère de doute qu'il y joue un rôle actif, ce qui n'est pas surprenant au vu de l'animosité entre nos familles respectives.
Votre charme naturel sera votre meilleur atout dans cette mission. Vous n'aurez à vous soucier en rien du Duc Aarden : je me charge personnellement de le tenir à distance. La robe que vous porterez lors du bal est déjà en chemin et devrait vous parvenir très bientôt. Vous trouverez dans cette enveloppe l'invitation qui vous sera nécessaire.
Avec toute mon affection et mon amour,
Cesare.
Je soupirai à l'idée de replonger dans ce jeu de séduction.
J'ai l'impression que c'est un cycle sans fin...
Je baissai les yeux sur la lettre, repensant aux premiers hommes que j'avais dû séduire sous ordre de Victor et de Cesare. Des hommes bien plus vieux —j'avais quatorze ans à l'époque.
« Alors, dites-moi, Belle Enfant, avez-vous déjà visité mes terres ? Je serais ravi de vous y accueillir. Vous pourriez même y rester... indéfiniment. »
Le Comte mit une main sur mon bras, ses doigts s'attardant un peu trop. Je reculai aussitôt mais il resserra son emprise.
« Allons, ne soyez pas timide... »
Je forçai un rire, dégageant sa main à l'aide de mon éventail.
« Vous êtes bien audacieux, Votre Grâce... Je me demande ce que dirait mes frères en apprenant ceci ? »
Ce souvenir me donnait encore la nausée.
Ce n'est pas la première fois qu'il me le demande mais c'est toujours autant difficile... Le pire ? De ne pas pouvoir dire non ? Ou de savoir que j'y excellerais ?
Je fermai les yeux, essayant de calmer la montée nauséeuse qui se logeait dans mes entrailles. En les rouvrant, je fixai mes mains où reposait le chapelet, mon pouce effleurant sa croix.
« Dieu... Même si cette demande est insolente à Vos yeux... Pardonnez-moi... »
Je ris amèrement.
« Depuis combien de temps n'ai-je pas prié ? Depuis combien de temps ai-je cessé de croire que le pardon était une possibilité pour moi ? Combien de fois ai-je supplié ? Combien de fois ai-je espéré que Vous m'arrachiez à cette vie ? »
Je levai les yeux vers le plafond.
« J'ai menti. J'ai manipulé. Je Vous ai trahi. Alors que je comprends que... Je ne mérite pas d'être entendue... »
Je pris l'invitation entre mes doigts, un carton épais aux bords dorés. Sans plus y prêter attention, je la mis de côté et saisis la lettre pliée ainsi que l'enveloppe. Je les approchai de la flamme des chandeliers et peu à peu, le papier noircit, se tordit et finit par se réduire en cendres. Les fragments tombèrent, emportant avec eux les mots "sœurette", "affection" et "amour" —des mots qui n'avaient jamais porté leur sens dans la bouche de Cesare.
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𝐁𝐎𝐑𝐍 𝐓𝐎 𝐃𝐈𝐄
FantasyL'histoire l'a salie. Les siècles ont terni son nom, l'accusant de tous les crimes. Le passé l'a réclamé. Non pas pour laver son nom, mais pour devenir exactement ce qu'on craignait d'elle. « Pourquoi viser la rédemption ? Ils ne méritent pas que je...