Naples

6.3K 413 20
                                    

Vedi Napoli e poi muori. Cette expression perdit tout son charme lorsque je foulai le sol de la ville italienne pour la première fois. Après avoir appris à me fondre dans la masse au Togo, il me fallait mettre mes leçons en pratique. Et pour ça, Amy avait une idée assez précise de la méthode :

— Je reprends un vol dans deux heures, prétendit-elle.

— Comment ?

— Tu vas rester une semaine, répondit mon Sire sans changer de ton. Fais un tour, amuse-toi, rencontre des gens, fais ce que bon te semble. J'ai des affaires à régler et je ne veux pas de toi dans mes pattes pour ça.

— Mais je ne connais personne, ici ! objectai-je tant bien que mal.

— Et alors ? Tu es grand, tu parviendras à survivre. Je te donne rendez-vous dans sept jours, à quatorze heures au pied du Castel Nuovo.

Et elle partit en direction d'un comptoir. Je savais qu'il ne me servait à rien de tenter de négocier quoi que ce soit : elle avait décidé, je devais obéir. Je pris donc la direction de la sortie et le bourdonnement dans ma tête, auquel j'étais désormais habituée, s'estompa avant de disparaître. J'étais seul. Livré à moi-même, dans une ville inconnue, ne parlant pas un mot d'italien. Je n'avais de surcroît pas la moindre idée de ce qu'était ce Castel Nuovo.

Dans mon costume Versace couleur crème, je découvris une liasse de quelques billets violets. De quoi tenir la semaine sans souci pour un humain. Mais j'ignorais toujours combien se monnayait une bouteille de sang. Tout autant que comment en trouver ! Parviendrais-je à survivre sept jours sans une goutte de ma précieuse liqueur ? Cette question m'obséda pendant quelques minutes et la panique me gagna peu à peu.

Je décidai cependant qu'Amy ne cherchait pas ma mort. Elle ne se serait pas donné la peine de me transformer pour me laisser dépérir quelques semaines plus tard. En toute logique, si elle m'avait abandonné, c'est qu'elle m'avait jugé capable de m'en sortir. Dans le pire des cas, je me servirais à la jugulaire d'un Italien. Rasséréné, je rejoignis le centre-ville à pied.

Après un peu plus de deux heures de marche, j'approchai de la vieille ville. Le soleil était au zénith et je commençais à m'inquiéter de ses effets. J'entrai donc dans le premier hôtel et y réservai une chambre. J'avais racheté de la crème dans un petit magasin, par précaution, et choisis d'attendre le soir pour sortir de nouveau. La pièce était simple et peu meublée, mais je n'avais pas le chic d'Amy, cela m'allait très bien. Le minuscule écran de télévision vomissait des images en continu sans que je ne comprenne rien aux paroles. Je coupai donc le son et ne portai plus d'intérêt au poste.

C'est par la suite, lors d'un long moment d'inertie, que je découvris ce qu'Amy appelait la contemplation. Assis sur mon lit, je jetais un œil par la fenêtre quand mon regard fut attiré par une fourmi. Elle n'avait rien de particulier, si ce n'est qu'elle était l'unique élément mobile de mon champ de vision. Et sans crier gare, elle devint mon seul centre d'intérêt.

L'insecte cherchait quelque chose, de toute évidence. Elle alla d'abord d'un montant à l'autre, puis grimpa aux deux tiers une des vitres, avant de retourner sur le rebord. Elle s'arrêta un moment, déployant ses antennes l'une après l'autre. Après quelques instants, elle se remit en chemin et descendit le mur. Il y avait un papier peint assez chargé, de style renaissance, et à chaque nouveau motif qu'elle croisait, elle s'arrêtait pour vérifier qu'il n'y avait pas de danger. Sa course semblait erratique. Parfois, elle faisait une pause, tournait sur elle-même, nettoyait ses antennes ou rebroussait chemin. Tout cela me passionna. Je la suivis avec attention, essayant de deviner dans quelle direction elle repartirait à chaque intersection. Je lui cherchais un but, lui imaginais une vie. Je n'avais jamais eu ce genre de comportement, pas même envers un humain.

Je fus tiré de mon observation par un nouveau bourdonnement dans mon crâne. Un Choisi était dans les parages !

Était-ce un hasard ? Amy ne m'avait donné aucune information à ce sujet. Comment savoir si un Choisi est ami ou ennemi ? J'imaginai que la meilleure façon d'en avoir le cœur net était de m'approcher de lui. Ou elle ?

Sans perdre une seconde, je me précipitai vers le hall d'entrée. La sensation s'accentua : le mystérieux Choisi était là, tout près. Je scrutai les lieux. Il n'y avait que très peu de personnes, il me fut facile de le reconnaître. Lorsque nos regards se croisèrent, il eut un sourire dévoilant une de ses canines plus grandes que la moyenne. Il inclina légèrement la tête en signe de salut, puis sortit de l'hôtel après avoir serré la main d'un autre homme. S'il avait été un ennemi, il m'aurait sûrement attaqué. Il pouvait donc peut-être m'aider. Je lui emboîtai le pas...

Choisi (édité)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant