Se débarrasser du corps

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— Comment était-ce ? me demanda Amy, après plusieurs heures de silence.

J'étais allongé sur le cadavre de Malika. Je constatai que la main d'Amy parcourait toujours ma nuque. Le sang coagulé, un peu partout sur le corps, craqua quand je me redressai, imité par mon Sire.

— Bien, me contentai-je de répondre.

Je ne savais comment expliquer ce que je ressentais et j'étais persuadé qu'elle connaissait cette sensation. Je me souvenais l'avoir vue, elle aussi, étendue sur sa victime, ce fameux soir, dans la rue. À l'époque, j'étais transi de peur ; aujourd'hui, j'étais le prédateur.

— Tu es un suceur de sang, à présent, chuchota-t-elle. Tu as eu ta première proie et tu t'en es parfaitement sorti. Personne n'est venu nous déranger, tu es naturellement discret, c'est une excellente chose. C'était une bonne idée de l'assommer pour la réduire au silence. Maintenant, il faut se débarrasser du corps.

Je restai bloqué. Que voulait-elle faire de cette femme d'un mètre soixante-dix ? La sortir d'ici serait loin d'être facile : nous étions dans un hôtel de luxe, il y avait du monde à la réception en permanence. Et puis les draps étaient imbibés de sang. Il y en avait même sur la tête de lit. Nettoyer tout ça me semblait impossible. Encore une fois, j'avais goûté au plaisir sans penser aux conséquences.

— Comment on fait ? demandai-je alors.

— Commence par te rhabiller, mon apprenti, lâcha-t-elle en se redressant.

Je m'exécutai. Mon esprit retrouva vite de la vigueur. En quelques secondes, j'étais prêt à passer à l'action. Le plan d'Amy était d'une simplicité insolente. Nous nous débarrassâmes des draps et en prîmes des neufs, dans un des nombreux chariots du room service qui peuplaient les couloirs, dès le lever du jour. Nous retournâmes le matelas pour retarder le moment de la découverte des taches. Le plus dur fut de se défaire du corps, mais mon Sire démontra une fois de plus son expertise. Dans l'après-midi, Amy avait loué une voiture qui attendait au sous-sol. L'ascenseur faisait face à notre chambre, choix délibéré d'Amy, ce qui nous offrit un accès direct à l'aire de stationnement. Par chance, ou grâce à l'heure matinale, nous ne croisâmes personne. Lorsque la porte s'ouvrit sur le parking désert, je poussai un soupir rassuré et Amy pouffa.

— Ne sois pas si stressé, sourit-elle.

— Et si on nous surprenait ?

Je portais Malika comme un jeune marié franchissant le seuil de sa demeure. Sa tête ballante, sa gorge béante et son corps nu couvert de sang coagulé n'avaient rien de discret.

— Tu es un Choisi ! cracha-t-elle. Tu feras au mieux pour être discret à l'avenir, mais si quelqu'un te surprend avec un cadavre sur les bras, tu devras improviser. Ne laisse jamais traîner de cadavre, par contre.

La remarque avait cinglé sans réelle méchanceté, mais avec sécheresse. J'étais invincible, après tout ! Il était donc facile de se défaire de la plupart des témoins. Elle avait raison. Je tentai de cacher ma stupidité derrière un sourire et elle n'insista pas. La télécommande à la main, elle activa l'ouverture du coffre et je me débarrassai de mon fardeau sans cérémonie.

— Allons finir de nettoyer, ajouta-t-elle en rabattant le haillon.

Quelques minutes plus tard, nous quittâmes les lieux sans regarder en arrière. Nous roulâmes quelques minutes vers l'extérieur de la ville pour nous arrêter aux abords de la rivière. Il fallait nous défaire de la dépouille et ne pas laisser d'indice.

— C'est là le plus important ! me lança Amy, lorsque nous jetions le corps lesté tant bien que mal, avec deux parpaings et de la ficelle. Tu prends la vie de qui tu veux, où tu veux. Mais ne laisse pas de traces... Ou arrange-toi pour qu'elles ne mènent pas à toi.

— Pourquoi ? Nous n'avons rien à craindre de personne, objectai-je, me souvenant de sa remarque dans le sous-sol.

— Détrompe-toi, Sébastien. Nous avons de nombreux ennemis qui se feront un plaisir de te pister si tu sèmes des cadavres signés derrière toi.

— Les chasseurs, je connais, fanfaronnai-je.

— Ta petite aventure avec des chasseurs ne constitue pas de l'expérience, grinça Amy. Je suis sûre que tu ne les as même pas vus.

Elle marqua une pause, comme attendant que je fasse une remarque. Je m'abstins.

— Il y a le Conseil aussi, reprit-elle. Ne les oublie jamais ! Garde aussi en tête tous ceux qui tiennent à leur anonymat, dont Blake et moi faisons partie. Et puis, il y a la LOTUS. Ces derniers ne manquent pas de moyens pour nous traquer. Nous sommes en paix avec eux, pour l'instant. Cependant, il y a des conditions alors, prends cette menace au sérieux. La plus grande de toutes, sans conteste. Ils sont partout et presque invisibles. Inutile de préciser qu'ils ne nous aiment pas.

Ainsi, d'autres humains étaient au courant pour les Choisis. Mille questions me vinrent, mais Amy me força au silence pour un moment. Il semblait qu'elle avait un programme pour moi et que chaque sujet avait une place particulière dans son agenda. Je n'insistai pas.

Choisi (édité)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant