Un Choisi

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Ce cirque dura encore tout le jour et une bonne partie de la nuit suivante. Je reprenais un semblant de conscience, lucide et capable de ressentir chaque fibre enflammée de mon corps. La plupart du temps pendant une dizaine de minutes, puis je sombrais, sans prévenir, à nouveau. À part lors de mon premier réveil, Émilie fut présente à chaque fois, souriante et plus belle que jamais.

J'avais profité d'un moment d'éveil pour observer mon ventre avec attention. Non seulement je n'avais pas une seule trace du gouffre qu'avait pratiqué Émilie dans mon abdomen, mais ma peau était dans un meilleur état qu'avant. Du moins en eus-je l'impression. Après vérification, la cicatrice sur mon cou était encore là, mais pas celle, plus récente, de mon épaule.

Dans l'après-midi du deuxième jour, je demeurais enfin éveillé plus longtemps. Je sentais toujours le bourdonnement dans mon cerveau et un léger fourmillement dans le reste de mon corps, mais tout ceci devint au moins supportable. Mon tout nouveau Sire me lança un regard amusé avant de me demander comment j'allais.

— Mieux, répondis-je. Mais pas terrible, j'ai envie de vomir.

— C'est bon signe, fit-elle.

Elle me laissa affalé dans mon lit et sortit un instant de la chambre en m'ordonnant de ne pas bouger. Cela ne faisait de toute façon pas partie de mes plans.

— Je sais que tu vas avoir des questions à me poser, fit-elle de l'autre côté de la porte entrouverte. Mais pour l'instant...

Elle reparut dans l'encadrement et brandit une bouteille de verre sans pour autant s'avancer plus. Les rideaux étaient tirés et la nuit déjà bien sombre, aucune lumière n'était allumée et j'y voyais pourtant assez bien. Pas comme en plein jour, mais suffisamment pour distinguer le petit dragon chinois sur sa chemise de soie rose. Je voulus la détailler plus avant, comme j'aimais tant le faire, mais quelque chose m'arrêta et accapara toute mon attention. Pendant les deux ou trois premières secondes, je ne sus même pas lequel de mes sens était entré en alerte. Je vis en revanche un sourire naître sur les lèvres d'Émilie. Puis, je compris que c'était une odeur qui avait interrompu le fil de mes pensées. Légèrement âcre, avec une note de cœur plus douce, voluptueuse, elle s'engouffra dans mes narines et rien n'eut plus la moindre importance. Le fourmillement s'intensifia largement, alors que la nausée s'évaporait. Mon rythme cardiaque accéléra et, malgré moi, je salivai.

— Tout a l'air de fonctionner parfaitement chez toi, mon petit Choisi, lança-t-elle d'un ton mielleux en s'avançant vers moi. Voyons à présent, comment va l'appétit.

Je ne compris vraiment ce qu'il se passait que lorsqu'elle fut assez proche pour que je distingue le contenu de la bouteille, rouge et épais : du sang ! Je la saisis avidement et la portai à mes lèvres, sous le regard excité de celle qui avait donné un sens à ma vie.

Je m'attendais à un effet puissant, après avoir vécu les prélèvements d'Émilie qui semblait entrer en transe chaque fois. Mais je n'aurais jamais pu ne serait-ce qu'effleurer cette sensation qui m'étreignit lorsque les premières gouttes glissèrent dans ma bouche.

Le premier contact me brûla la langue, de la même façon que le sang d'Émilie dans mes entrailles. Mais très vite, le liquide passa dans ma gorge, s'insinuant au cœur de chaque parcelle de mes muqueuses et, à mesure de sa progression, les fourmillements disparurent. D'abord au niveau du cou, puis le torse, les bras et le reste du corps. Je respirais mieux d'un coup, l'air me parut plus fluide.

À la deuxième lampée, j'eus l'impression très nette que les fibres de mes muscles se gonflaient du sang que je buvais. Les quelques sons qui arrivaient à mes oreilles se firent plus précis, je sentis mes poils se dresser un peu partout sur moi et une vague de plaisir me submerger. Mon cœur battait fort mais à un rythme posé. J'accélérai ma descente pour donner à mon corps ce dont il avait besoin. Car il n'y avait aucun doute là-dessus : mon organisme réclamait cette boisson à cor et à cri. Même à la fin, une fois le flacon vidé, je ressentais toujours le fluide se répandre dans mon être.

Il m'est difficile de trouver les mots pour décrire ce qui s'est produit avec précision, mais lorsque je me détendis enfin, je me sentais plus fort, gonflé à bloc, plein d'énergie. J'entendais mieux, je voyais mieux. En revanche, mon odorat était encore dans les vapeurs du sang qui s'échappait de la bouteille sur le lit.

— Bienvenue parmi les Choisis, captai-je alors.

Je tournai la tête et remarquai sa présence, que j'avais occultée. Émilie caressa ma joue avec douceur et, contrairement à ce qui était devenu une habitude, je ne tremblai pas. Sa peau me sembla bien plus rêche, et plus chaude aussi. Lorsqu'elle retira sa main, je vis briller quelque chose au fond de ses yeux gris. Elle attrapa la bouteille, fit quelques pas avant de se tourner vers moi.

— Ne reste pas là, fit-elle rieuse. Allons nous promener avant le lever du jour.

Choisi (édité)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant