Apprendre par la douleur

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Lorsque nous franchîmes enfin le seuil de l'hôtel et que la climatisation souffla sur mon visage, je crus voir la fin du calvaire... mais je me trompais. Encore. Non seulement la sensation de brûlure ne passait pas, mais elle s'intensifiait.

Nous montâmes dans notre suite et je me défis de mes vêtements sous le regard amusé d'Amy. Je commençais à me poser des questions sur ce plaisir malsain qu'elle semblait prendre à me regarder souffrir, chaque fois de façon différente. Ma peau était recouverte de plaques rouges qui, en plus d'être disgracieuses, me torturaient.

— Ne t'inquiète pas trop, fit-elle avec son sourire moqueur. Ce ne sont que des coups de soleil.

— Des coups de soleil ! hurlai-je, meurtri. Tu te fous de ma gueule ? Regarde-moi, y a des cloques, putain !

La phrase sortit sans que je n'y puisse rien et je réalisai que je criais après une femme qui avait tout pouvoir sur moi. Mais qu'importe, j'avais mal pour de bon. J'étais atteint au troisième degré, pour sûr, et le supplice durait. Et elle... elle souriait !

— N'oublie pas que tu es un Choisi, à présent, reprit-elle à voix basse. La souffrance fait partie de ton quotidien.

— Rien à battre ! criai-je devant le miroir, découvrant les ravages partout sur moi. Et pourquoi toi t'as rien ?

— Je suis moins sensible parce que je suis plus vieille. L'âge est la base de tout. Je suis aussi plus forte et plus endurante, je me régénère plus vite... Je suis comme toi, mais en mieux.

Elle m'exaspérait. Quelle était la raison qui m'avait poussé à la suivre dans cette histoire, déjà ?

— Je rigole pas ! repris-je, un peu plus énervé encore. Tu sais comment j'ai mal, là ?

Soudain, et sans que je ne comprenne comment, une nouvelle douleur éclata dans ma poitrine. Je me retrouvai affalé sur le sol, cherchant l'air avec difficulté alors qu'Amy me regardait de haut. Il me fallut encore une seconde pour comprendre qu'elle m'avait frappé. J'avais beau être un Choisi, je n'avais rien vu venir.

— Je peux t'infliger des souffrances bien pire que ce que tu crois être la douleur, grinça-t-elle. Dans quelques heures, tu auras cicatrisé. Tu ne sentiras plus rien, et il n'y aura plus aucune trace demain à la même heure. Quant à tes côtes, je te souhaite qu'elles se réparent vite car respirer deviendra vite pénible aussi.

Elle s'éloigna, contente de son effet, et moi, je m'imaginais mourir là, en slip, sur la moquette de notre chambre d'hôtel africaine. J'avais bien envie de la tuer. Mais je n'arrivais même pas à me relever.

— Comme tu le vois, le soleil ne t'a pas tué, reprit-elle, de nouveau calme. Mais ne sors plus jamais sans écran total sur tout ton corps. Dans quelques mois ou années, tu seras moins sensible et tu pourras t'aventurer en plein jour sans crème protectrice. Maintenant, apprends de ta douleur ce qu'être Choisi veut dire. Tu retiendras mieux de cette façon.

Je la haïssais. Purement et simplement.

— Qu'est-ce qu'il y a entre Blake et toi ? demandai-je après une bonne minute de silence.

Mon souffle était à peu près régulier et la douleur dans ma poitrine avait suffisamment diminué pour que la douleur de ma peau cloquée reprenne le dessus.

— Que veux-tu savoir, exactement ?

— Tu n'as pas eu l'air d'apprécier qu'il me donne sa carte...

Si elle voulait m'infliger des sévices physiques, je pouvais me venger en la forçant à aborder le sujet « Blake ».

— C'est un hacker, répondit-elle d'une voix neutre. Un des meilleurs, selon la plupart des gens qui l'ont côtoyé. S'il te propose un boulot, ce sera illégal et certainement violent. Sa seule allégeance est envers son Sire, Hassam. Il n'hésite pas à buter ses Choisis quand ils le déçoivent. Ce n'est pas quelqu'un de bien.

Je souris malgré mes douleurs. L'hôpital, la charité, tout ça...

— Nous, on est des gens bien ?

— J'essaie de l'être, en tout cas.

— En me broyant la poitrine pour m'apprendre ce qu'est la souffrance ?

Elle avait une étrange conception du bien.

— Tu t'en remettras, souffla-t-elle. J'aurais aimé qu'il me brise les côtes ou me fasse marcher au soleil, plutôt que de subir ce que j'ai subi.

Soudain, je captai la tristesse au-delà des mots qu'elle venait de prononcer. Elle se plaça devant la fenêtre, me tournant le dos et je compris qu'elle ne voulait plus que je la questionne sur le sujet. Cependant, il n'était nul besoin d'être devin pour comprendre le sous-entendu. Et moi, je regrettai ma pseudo-vengeance puérile.

Choisi (édité)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant