Appât

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J'étais seul.

Ma transformation avait fait de moi un Choisi, mais tel un Superman devant de la kryptonite, je n'avais plus de super-pouvoirs. Mon corps me faisait mal un peu partout. C'était devenu supportable en termes d'intensité, mais je n'étais pas capable de courir, alors me battre contre des chasseurs...

Sans mon ouïe supérieure, je n'entendais rien d'autre que le bruissement des branchages. La moindre variation dans le fond sonore me faisait sursauter. Les ténèbres alentour me parurent bien sûr insondables et les mouvements dans les arbres projetaient des ombres inquiétantes un peu partout où mon regard se posait. Il me fallut un petit moment pour l'admettre, mais j'étais terrifié.

Las d'attendre pour savoir à quelle sauce je serais mangé, je me décidai à bouger et pris la direction du village. Je l'espérais, du moins. Mon sens de l'orientation n'avait jamais été très bon et, grisé par la découverte de mon nouveau moi, je n'avais pas été très attentif à nos déplacements.

Après quelques pas mal assurés, j'entendis la voix d'un homme. Je ne compris pas les mots, mais j'étais certain que ce n'était pas Émilie. Je me figeai, scrutant l'obscurité. Je n'avais même pas un couteau ou un bâton pour me défendre, rien. Je décidai de jouer les ignorants.

— Il y a quelqu'un ? osai-je à voix haute.

Les tremblements de ma voix n'étaient pas feints et c'est peut-être cela qui me sauva la vie.

— S'il vous plaît ? Je suis perdu depuis cet après-midi et je meurs de soif.

Je n'eus aucune réponse, mais un bruit sourd résonna quelques secondes plus tard et je me jetai au sol par précaution. Un hurlement à peine étouffé retentit ensuite, suivi d'une détonation silencieuse. Des bruits de pas, de course poursuite, plus exactement, des branches qui craquent, d'autres tirs.

Émilie avait dû passer à l'attaque, mais je n'y voyais rien à plus de deux ou trois mètres. La cavalcade semblait me tourner autour, régulièrement ponctuée de chutes ou peut-être d'arrêts brutaux et de tirs silencieux. Le stress me gagna à une vitesse folle, de nouveau. Je ne bougeais plus et pourtant j'étais hors d'haleine. Émilie avait-elle l'avantage, comme je l'espérais, ou bien était-elle poursuivie par les chasseurs ?

Encore un petit cri, suivi d'un bien plus long et gras. Cette fois, ça avait fait mal et ce n'était pas Émilie.

Soudain, le silence.

Je tendis l'oreille à la recherche d'indices, me recroquevillant pour passer inaperçu. Il y eut un bruit au-dessus de ma tête, dans un arbre, et j'en déduisis qu'un petit animal avait été dérangé par l'action. Et puis le parfum délicat du sang parvint enfin à mes narines. J'imaginais sans peine qu'Émilie se repaissait de sa dernière victime, ce qui indiquait une victoire au moins partielle. Ma bouche fut bien vite trempée de salive et mon souffle se calma très légèrement. Pour autant, je n'allais pas mieux et une sorte de nausée étrange s'empara de moi.

— Rentrons ! entendis-je soudain.

Il me fallut un moment pour comprendre et sortir de la transe dans laquelle je ne m'étais pas senti sombrer. Émilie était debout près de moi, le visage et le haut du corps couverts de sang. Pas le sien, sans doute. Elle me tendit une main et je l'attrapai mollement.

Elle me traîna ensuite, sans grandes difficultés, jusqu'à notre chalet où je vidai une nouvelle bouteille. L'effet fut identique à la première fois et je retrouvai force et vitalité en quelques instants.

— Il me faudra descendre un litre de sang toutes les heures pendant longtemps ?

Je ne l'avais jamais vue utiliser ces récipients, ni même s'alimenter si souvent, aussi pensai-je que ça ne durerait pas.

— Je ne sais pas. Peut-être deux ou trois jours. Tout ceci dépend de chaque individu.

Elle se tourna vers moi et me fixa un instant avec le sourire. Ai-je déjà dit comme je la trouvais belle ? Ses yeux gris rieurs, sa peau rendue moins douce par ma transformation, mais chaude à présent, sa si étrange façon de s'habiller, tout en elle m'attirait.

— Tu dois ressentir quelque chose de bizarre dans ta tête. Je ne peux pas te dire quoi exactement. Chez moi, ça ressemble à un chatouillis derrière l'oreille, fit-elle en désignant son lobe droit de la main. Pour mon Sire, c'est une petite piqûre au front. Nous ne le vivons pas tous de la même façon, mais chacun d'entre nous expérimente cette étrange sensation. C'est un avertissement.

— Pour quoi ?

— Pour nous prévenir qu'un autre Choisi est dans les parages... Je vais devoir m'occuper des cadavres, et pendant mon absence, tu vas certainement te rendormir. Quand tu te réveilleras, il se peut que je ne sois toujours pas là. Tu n'auras plus cette alerte. Mais quand elle sonnera de nouveau, rien ne te garantit que ce sera à cause de moi. Tu me comprends ?

J'acquiesçai et, comme à son habitude, elle quitta notre foyer sans autre commentaire.

J'étais de nouveau seul. 

Choisi (édité)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant