Se réveiller dans un lit qui n'est pas le sien, dans une chambre d'hôpital, et ne plus se souvenir pourquoi, est une sensation étrange. Je savais ce qu'était la gueule de bois. J'avais déjà eu la surprise de trouver une jeune femme sous mes draps en ouvrant les yeux, sans me rappeler l'y avoir invitée. Mais l'inquiétude était bien différente lorsque l'on reprenait conscience dans un environnement médical. Je pensai d'abord à un accident de voiture tout en étant persuadé que c'était impossible : je n'étais pas monté dans un quelconque véhicule depuis fort longtemps. L'infirmier qui s'affairait au-dessus de moi me tira de mes réflexions.
— Vous reprenez vos esprits, monsieur, lança-t-il avec un charmant sourire comme si nous étions amis. C'est bien.
— Où suis-je ? demandai-je bêtement, sachant très bien que j'étais dans une clinique.
— Hôpital Tenon. Pouvez-vous me donner votre nom ? poursuivit-il alors que je prenais petit à petit conscience de mon propre corps et d'une vague douleur entre le cou et l'épaule.
J'avais encore un souvenir amer de Tenon. Laurent était mort ici, deux ans plus tôt. J'avais vu mon « cousin préféré », comme je l'appelais depuis qu'on était petits, dépérir d'une séance de chimio à l'autre. Il avait trente-six ans...
— Sébastien Dequesnne, articulai-je en mettant ce souvenir de côté.
— Et vous souvenez-vous de ce qui vous est arrivé ?
Je cherchai dans ma mémoire, sans pour autant parvenir à quoi que ce soit. Je bougeai mes doigts de pieds, inquiet. Ils répondirent, tout comme mes mains, je voyais correctement la lumière aveuglante du plafonnier, je captais l'odeur caractéristique des hôpitaux. À part cette douleur diffuse au cou, je n'avais rien. Et pas plus de souvenirs.
— Ce n'est pas grave, enchaîna le docteur — puisque je remarquai son badge qui le précisait. Ça arrive assez fréquemment. Madame Dequesnne nous a expliqué ce qui s'est passé lors de votre prise en charge, de toute façon.
Madame Dequesnne ? J'en avais manifestement oublié plus que je ne le croyais au départ.
— Sans elle, vous seriez sûrement mort à l'heure qu'il est, vous pourrez la remercier chaudement, ajouta-t-il avec un clin d'œil. Tout le monde ne pense pas à mettre un clamp vasculaire dans sa trousse de secours.
— Coucou, chéri, fit alors une voix féminine qui ne m'était pas totalement inconnue.
Son visage apparut dans mon champ de vision et, comme un train lancé à pleine vitesse, le souvenir me frappa de plein fouet. Elle m'avait attaqué ! Vampirisé... et a priori, j'étais toujours vivant. Bien qu'allongé dans mon lit, je crus me sentir m'enfoncer dans un abîme infini. Et pas la moindre petite branche à laquelle me rattraper. Le médecin dut voir un changement à mon expression, car il fit un commentaire sur le fait que je retrouvais la mémoire. Mais je ne me souviens plus, peut-être même n'ai-je jamais compris ce qu'il dit. Je me rappelle ensuite une explication abracadabrante sur la porte en verre d'un meuble de cuisine qui me serait tombée dessus. Du grand n'importe quoi ! pensai-je, sans oser la contredire. Elle aurait pu le tuer pour ne pas laisser de témoin. Le docteur semblait pourtant trouver son histoire crédible et, petit à petit, je reprenais pied dans la réalité. Suffisamment pour comprendre ce qui se disait.
— L'important est qu'il se nourrisse correctement pour les jours à venir. Comme je vous l'expliquais hier, nous avons pu recoudre tout ça proprement, le danger est derrière lui, à présent.
— Et quand pourra-t-il rentrer ?
— Nous allons le garder en observation encore vingt-quatre heures, histoire d'être prudents.
— Combien de temps suis-je resté inconscient ? demandai-je soudain.
— Trente-trois heures, répondit ma prétendue femme du tac au tac.
Le docteur dut faire un rapide calcul pour le confirmer, puis nous laissa nous retrouver, pour reprendre son expression. Je cherchai une raison de le retenir, mais rien ne vint et il disparut hors de la chambre. Le silence s'abattit sur la pièce. La télévision était allumée, mais le son était coupé. Les fenêtres et la porte, de leur côté, ne laissaient filtrer aucun bruit de l'extérieur. J'aurais presque pu entendre le goutte-à-goutte de ma perfusion.
Mon bourreau quant à elle était là, au garde-à-vous face à moi, à l'extrémité du lit, un sourire malin accroché au visage. J'étais terrorisé, cette fois. Depuis que ma mémoire m'était revenue, j'avais à l'esprit une seule et unique question.
— Non, me répondit-elle, comme lisant dans mes pensées.
Je ne sus quel sentiment éprouver, entre soulagement et déception.
— Mais bientôt peut-être, si tu survis assez longtemps, ajouta-t-elle.
— Que veux-tu dire ?
— Ne t'occupe pas de ça, le médecin a dit que tu devais te reposer.
Elle prit le chemin de la sortie et se retourna juste avant d'attraper la poignée.
— Je me suis présentée en tant qu'Émilie Dequesnne, lâcha-t-elle, souriante et belle comme jamais.
Puis elle disparut.
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Choisi (édité)
VampireJeune homme sans histoire, Sébastien fait une rencontre qui va bouleverser sa vie et précipiter sa mort. Cette inconnue, croisée au détour d'une ruelle sombre, est-elle réellement un vampire ? Fasciné par cette créature de légende, il n'aura bientôt...