La nuit

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La nuit. Le domaine exclusif des Vampires, si l'on s'en réfère à la littérature fantastique. Et même si nous, les Choisis, pouvons vivre en plein jour, il n'y a que là que nous nous sentons puissants. En sortant du chalet, je découvris un nouvel univers, sombre mais d'une étrange limpidité. Encore une fois, trouver les mots justes pour décrire des sensations qui n'ont pas d'équivalent dans la gamme du ressenti humain n'est pas évident.

Je pouvais distinguer de faibles rais de lumière en provenance de la plupart des étoiles. Elles étaient d'ailleurs bien plus nombreuses que ce que j'avais eu l'habitude de voir à Cauterets. La lune, quant à elle, semblait aussi brillante que le soleil, mais renvoyait un halo bleuté. Les arbres, bien qu'inchangés, m'apparaissaient plus majestueux que jamais avec leurs épines rendues phosphorescentes par la lueur de l'astre de la nuit. J'en eus le souffle coupé et, une fois de plus, Émilie sourit en découvrant mon faciès émerveillé. Elle me proposa une balade dans la forêt et, pour la première fois, la suivre ne fut pas un problème. Je progressais avec la même aisance qu'elle et ne ressentis aucune fatigue musculaire. Ma respiration resta régulière : j'étais comme elle !

Et comme elle, j'entendis le clic caractéristique d'une arme qu'on charge. Je l'entendais pour la première fois, pour être honnête, mais la télévision m'avait bien formé. Ce que je n'avais pas encore acquis, en revanche, était le réflexe de me mettre à l'abri. Émilie me projeta au sol avec force et j'entendis une déflagration sur le tronc d'un arbre tout près. Les chasseurs étaient de retour.

— Ils utilisent des silencieux, précisa-t-elle.

Bien que devenu immortel, ma rencontre avec le sol fut douloureuse. J'allais m'en plaindre, mais Émilie me fit signe de garder le silence.

— On n'a qu'à les buter !

Elle me lança un regard de professeur blasé.

— Ce n'est pas si simple, mon cher novice. Ces chasseurs prennent leur temps pour nous traquer, ce sont des pros. Ils sont sûrement équipés de lunettes de vision nocturne, en plus.

— Oui, mais ce ne sont que des humains, objectai-je derechef.

— Et toi, tu n'es pas de taille ! Regarde.

Elle attrapa ma main, tendit mon bras et le lâcha. Je tremblais comme une feuille. En y prêtant un peu plus d'attention, j'étais aussi à bout de souffle. Mon corps se révolta sans crier gare et les douleurs revinrent à l'assaut. Je crus de nouveau faire une crise cardiaque, ma vue se troubla d'un coup et ma bouche s'assécha. Totalement paniqué, je dévisageai mon Sire.

— Ton corps a brûlé tout ton carburant, m'expliqua-t-elle. Mais tu n'en mourras pas. La seule menace se terre quelque part par là.

Elle m'indiqua un vague point derrière elle avant de se retourner.

Je n'étais pas en état d'affronter des chasseurs, elle avait raison. Mais je l'avais vue terrasser un homme sans effort, me soulever du sol avec une seule main, deux chasseurs ne pouvaient pas réellement être un risque pour elle.

— Tu dois te défaire de tes préjugés stupides, claqua-t-elle sans pour autant élever la voix. Les chasseurs sont différents des humains classiques. Ils en savent beaucoup plus sur nous que toi, par exemple. Ils sont armés et savent comment nous tuer. Les sous-estimer revient à te suicider. Si tu en as l'occasion, face à un chasseur, fuis !

Voilà qui était encourageant... Je me sentais mourir à petit feu, incapable de faire le moindre mouvement et elle me demandait de fuir devant des humains que je pensais surpasser en tout point à présent que j'étais immortel. Je commençais à me demander si cette transformation était un bon choix. Si je devais mourir cette nuit, dans cette forêt, cela en aurait-il valu la peine ?

Un bruit, que je n'entendis pas, attira de nouveau l'attention d'Émilie, et elle se tourna sur la gauche.

— Ils se déplacent, m'indiqua-t-elle.

— On fait quoi, alors ?

Elle me détailla un instant, puis se perdit dans une réflexion intense avant de répondre.

— Toi, tu restes là. Tu vas me servir d'appât. Dans ton état, tu ne seras bon qu'à ça, de toute façon.

Elle se précipita alors dans les ténèbres sans me laisser le temps de réagir ou d'objecter.

Choisi (édité)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant