Chapitre 41

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– Cléandre... commence sa mère. 

– Non. Ne commence pas à m'interrompre, sinon je n'aurais pas le courage de le faire. 

Wilma fronce les sourcils, mais n'ajoute rien. 

– Tu es sûr ? chuchoté-je. Je veux dire... je comprendrais qu'en reparler à ta famille...

– Je n'en ai jamais parlé qu'avec ma psychiatre, et encore, je ne lui ai pas tout dit...

Mes yeux s'écarquillent, j'ouvre la bouche pour répondre, mais il me coupe :

– Je ne vous dirai pas tout non plus, mais au moins... un bout. En espérant satisfaire la curiosité nécessaire de chacun. 

Il se sert un verre de vin qu'il vide d'une traite avant de prendre une profonde inspiration. La pièce semble s'être figée dans le silence, suspendue à ses mots.

– Comme vous le savez tous, avant Nathéo... j'ai eu un petit ami. Plus qu'un petit ami, même, un compagnon. Kaname. Nous avions de grands projets tous les deux. Nous... nous parlions d'emménager ensemble...

Je me crispe. Même si je le savais déjà, l'entendre l'annoncer devant tout le monde me fiche un coup au moral. 

– De nous fiancer même, ajoute-t-il d'une voix rendue rauque par l'émotion.

Wilma et Gregoire écarquillent les yeux. Capucine couvre sa bouche de sa main. Moi, je ne bouge pas, incapable de réagir. 

– Cléandre, tu ne nous l'avais jamais dit, murmure sa mère.

– Je n'en ai pas eu l'occasion. 

De nouveau, il se sert un verre. Après une hésitation, je pose ma main sur la sienne ; il me paraît assez peu judicieux de le laisser boire. 

– Le jour de sa mort... le jour de mes dix-huit ans...

Mes doigts se crispent sur les siens. Quelle horreur... 

– Kaname m'a offert un tatouage. J'ai choisi son prénom. Je voulais que l'encre ancre Kaname sur ma peau. Pour l'avoir toujours avec moi, pour lui prouver mon amour en permanence... 

Il lâche un ricanement douloureux.

– J'étais tellement égoïste à cette époque. À exiger des choses sans regarder plus loin que le bout de mon nez. Kaname m'a fait le tatouage que je voulais, puis, il m'a emmené visiter un appartement. Il voulait qu'on emménage ensemble et je voulais absolument visiter notre premier appartement le jour de mon anniversaire. Il m'a dit qu'une surprise m'y attendait... sauf que nous n'y sommes jamais allés. 

Il se tait un instant, enfouit son visage dans ses mains, essuie les larmes qui le ravagent. Doucement, je lui caresse le dos. Je dois lui montrer que je suis là, à ses côtés. Que malgré mon silence à son aveu, il peut compter sur moi. 

Autour de la table, sa famille et la mienne sont suspendues à son souffle. Tout ça, Capucine, Zéline, Wilma et Grégoire le savaient. C'est ce qu'il s'est passé ensuite qu'ils ignorent. Ce qui ne parvient pas à franchir les lèvres de Cléandre alors qu'il crève de s'épancher. 

Je me racle la gorge, conscient de devoir parler pour l'aider. Peu m'importe que cette aide le pousse à continuer ou à abandonner. Tout ce qui compte, c'est le sortir de cet abattement.

– Cléandre... nous sommes là pour toi, quoi que tu fasses. Si c'est trop pour toi... ne t'inquiète pas. OK ?

Il relève la tête et m'adresse un sourire un peu tordu. 

– Merci. Je vais essayer... encore un peu. 

Cette fois, je le laisse siphonner son verre de vin, mais j'éloigne la bouteille pour prévenir un troisième remplissage.

Indéchiffrable CléandreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant