Chapitre 13

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Nous nous dévisageons sans un mot pendant ce qui me semble être une éternité avant que je ne lui lance d'un ton ulcéré :

– Toi, pas hétéro ? Tu te fous de moi, c'est ça ?

– Pas du tout.

Il pince les lèvres et me dévisage, très sérieux. Je suis perdu. En réalité, mon cœur se ferme hermétiquement à cette idée ; la désillusion ferait trop mal.

– Ce serait cruel de ma part de plaisanter à ce sujet alors que tu craques sur moi, non ?

– Je t'aurais cru si tu ne m'avais pas dit que les hommes ne t'attiraient pas !

Mon ton se fait accusateur. Son visage se crispe. Et cet imbécile de téléphone sonne encore, de quoi accentuer ma colère.

– C'est inexact, j'ai dit que sortir avec un homme ne m'intéressait pas.

– Tu te fous de moi ? C'est du pareil au même : les hommes ne t'intéressent pas. Pars tout de suite de chez moi. Je déteste qu'on se paye ma tête.

Il se passe une main sur le visage sans bouger d'un pouce.

– Tu le fais exprès, Nath ? Je sais bien que mes paroles n'allaient pas dans ce sens, mais mon corps a laissé des indices plutôt clairs. Évidemment que je suis homo !

Je grogne et lui rétorque aussitôt que ça n'avait rien d'évident justement parce que ses paroles le faisaient passer pour un homophobe. Je m'en veux un peu de remettre ça sur le tapis, mais l'argument me paraît des plus pertinents. Cette fois, il ne tique pas, ne s'énerve pas. Il soupire avant d'admettre les choses, puis il revient à côté de moi. Sa main cueille la mienne, la serre entre ses doigts avec une tendresse insoupçonnée. Mon cœur danse la salsa. L'espoir caracole et piétine mon cerveau. D'une voix douce, il me le répète : il est homosexuel. Pas bisexuel, comme moi, pas pansexuel, pas autrechosesexuel, mais bien homosexuel. Les filles ne l'ont jamais attiré et ne l'attireront jamais. 

Une seule question me vient à l'esprit : pourquoi ? Lorsqu'il me demande de préciser, un ricanement m'échappe. J'ai tellement de "pourquoi" sans réponse ! Pourquoi se faire passer pour un homophobe et dire que les hommes ne l'intéressent pas, pourquoi sortir avec Sarah, pourquoi révéler tout ça maintenant, pourquoi à moi...

Reste l'option du gay refoulé, du mec qui ne s'assume pas. Celui qui veut "faire le bonhomme", entrer dans la norme, ne pas faire de vague. Mon hypothèse le secoue plus que je ne m'y attendais ; il récupère sa main, recule jusqu'à l'accoudoir. Je suis sans doute allé trop loin, comme d'habitude. Néanmoins, au moment où des excuses vont franchir mes lèvres, il humecte les siennes pour parler : 

– Ma situation est un peu compliquée. J'assumais très bien avant. J'ai toujours assumé, en fait, sauf depuis mon nouveau départ. 

Nouveau départ ? Ses parents l'auraient-ils mis à la porte ? Maintenant que j'y pense, je n'ai vu personne chez lui. Aucune des pièces, hormis sa chambre, ne semblait accueillir quelqu'un. Mais alors pourquoi habite-t-il dans un si grand appartement ? Jamais ses parents ne lui paieraient un tel logement dans ce contexte. Pourtant, je me garde bien de l'interrompre. Je ne voudrais pas le braquer.

– Sortir avec Sarah m'a permis de me créer une confortable bulle de mensonges. Elle m'évitait de réfléchir, et surtout d'admettre que je pouvais encore avoir des sentiments pour quelqu'un.

Une étrange sensation m'envahit. Comme si tout mon corps se figeait sans pour autant cesser de bouger. Aurait-il des sentiments pour moi ? Je crève de le lui demander, mais je me retiens. Ce n'est pas le bon moment ; il a peut-être vécu une rupture difficile, ou bien il refuse de s'attacher à quelqu'un à cause d'une peine de cœur, ou même de ses parents ? 

Indéchiffrable CléandreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant