Chapitre 73

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Satisfait, je pose le point final sur ma copie. Déposer cette double feuille garnie d'une écriture (plus ou moins) appliquée sur le paquet devant le prof d'anglais marquera la fin officielle de mes partiels et de mes souffrances ! 

Avec Jared, nous avons passé la majeure partie de notre séjour chez mon oncle et ma tante à réviser. Bon, et nous avons pas mal discuté, aussi. Et fait des facetime avec Gaspard et Célia. Et assister à la fête du village, mais au-delà de ça, nous nous sommes montrés studieux. Si je me suis immergé dans mes notes, mes livres et les annales de l'année dernière, c'était autant pour ne pas penser à un certain blondinet (dont je suis toujours sans nouvelles) que pour être au point.

Et au point, je l'ai été ! Du moins, je le crois, il n'y a qu'en sociologie de l'entreprise que j'ai séché devant les réponses. J'ai bon espoir de valider mon année sans aller au rattrapage ! Une pensée parasite m'envahit soudain : Cléandre aurait été fier de me voir aussi studieux. Il aurait été fier de ma réussite. Il m'aurait sans doute félicité et m'aurait proposé de venir chez lui... ou peut-être d'aller boire un verre. Ou...

Je secoue la tête et adresse un sourire forcé à mon prof avant de quitter l'amphithéâtre. Depuis la conversation avec ma mère et ma décision de corriger mes erreurs, je n'arrête pas d'imaginer ce que Cléandre aurait fait s'il avait été à mes côtés. Comment aurait-il réagi à ma petite cousine qui faisait des câlins à tout le monde. Ce qu'il aurait fait s'il nous avait accompagnés à la plage. Ce qu'il m'aurait dit si nous nous étions isolé pour regarder le mini feu d'artifice du village. 

En parallèle, j'ai aussi essayé d'imaginer ce qu'il était en train de faire. Était-il dans son appartement, en train de réviser lui aussi ? Se soulait-il dans un bar ? Était-il avec Servan, Clarenz ou ce Kaname qui n'est sans doute pas Kaname ? Et surtout... comment allait-il réagir lorsque je viendrais le trouver ?

Évidemment, je ne pouvais pas deviner qu'il ne se présenterait pas aux partiels. J'ai d'abord cru qu'il ferait comme la dernière fois. Qu'il viendrait au dernier moment et repartirait au plus tôt pour m'éviter, mais il n'est tout simplement pas venu. Pas du tout. Tous nos profs en ont été surpris puisque c'est le meilleur élève de la promo. Sarah est venue me trouver pour savoir ce qu'il s'était passé, mais j'avais bien trop honte pour lui raconter. 

Le bonheur d'en avoir fini avec mes partiels laisse place à une morosité pensante qui accompagne mes pas jusque chez moi. 

Arrivé au coin de ma rue, je ralentis : ma mère se trouve sur le pas de la porte, en train de parler à un homme qui lui tend un carton. Ce livreur doit être déjà venu avant ; sa silhouette me rappelle vaguement quelqu'un, sauf que je ne parviens pas à me souvenir qui. Celui qui vient habituellement est grand, mince et a des cheveux roux touffus, celui-là est plutôt petit et à des cheveux noirs courts. 

Plus je m'approche, plus je trouve la situation étrange. Ma mère lui touche l'épaule. L'homme s'incline devant elle, secoue la tête et lui donne le colis. Il veut partir, mais elle le retient. Puis elle me voit et me fait coucou de la main. Le livreur se tourne subitement vers moi... et la stupéfaction nous fige tous les deux. Sa bouche se tord autant que mon cœur et mon estomac, et je me mets à courir pour ne pas laisser filer cette chance inespérée.

Sauf qu'il se détourne et s'éloigne d'un pas rapide malgré ma mère qui tente une dernière fois de le retenir, trop encombrée par le carton pour y parvenir. 

— Cléandre, attends ! m'époumoné-je alors que mes jambes me font l'effet de deux blocs de mousse qui se prennent pour de l'acier carré galvanisé. 

Il ralentit, mais ne s'arrête pas. Je crie encore. Plus fort. Je m'étouffe à moitié, incapable de gérer mon souffle. J'accélère en criant encore. Il jette un regard par-dessus son épaule et s'immobilise aussitôt. Je le rejoins en quelques pas, la respiration sifflante, et me courbe en deux.

Indéchiffrable CléandreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant