Chapitre 81.1

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— Tu... tu... qu'est-ce que tu fais là ? Je veux dire... Tu étais pas à Paris ? Dans l'avion ? Ton nom était sur la liste ! J'ai cru... j'ai cru... j'ai cru que tu étais mort ! Tu n'imagines même pas ce que ça fait de...

— Je crois que j'ai une petite idée, au contraire. Sinon, je ne serais pas là...

Il se laisse tomber sur un des fauteuils. Je m'installe à sa gauche, les yeux rivés sur lui. Un mélange de soulagement et d'angoisse me prend aux tripes. Soulagement de le voir vivant. Peur qu'il s'évapore si je détourne le regard. Soulagement qu'il accepte de me parler, qu'il soit venu me voir. Peur que tout ça ne soit qu'une invention de mon cerveau pour supporter l'insupportable.

— Je ne rêve pas... n'est-ce pas ? 

Il grimace un sourire et indique vaguement une partie du hall derrière moi.

— Je doute que tu rêverais de mon cousin et de mes parents en train de te fusiller du regard. 

Je lutte pour ne pas regarder. Je ne peux pas le quitter du regard. Pas encore. 

— Je ne vais pas disparaître, soupire-t-il.

— Je... on sait jamais. Je prends pas le risque. Peut-être que j'ai pris le cachet et que l'hallucination, c'est les effets secondaires. On sait pas. 

Il reste immobile un moment, comme s'il réfléchissait, puis sa main se pose sur la mienne. Ses doigts serrent les miens. 

— Je suis là. Je n'étais pas dans l'avion, et j'ai reçu ton message. Arrête de me fixer comme ça, s'il te plaît, ça devient gênant.

Je secoue la tête. Décroche enfin de ses pupilles fatiguées pour l'observer tout entier.

— Mais, tu es blessé ! hoqueté-je, horrifié.

Un plâtre emprisonne son bras droit. Un pansement cache une partie de son cou et la blouse d'hôpital ne parvient pas à cacher qu'il descend sur l'épaule. Sa respiration me semble lente et difficile. 

— Tu es observateur, s'amuse-t-il avant que ses traits ne se crispent de douleur. Ne me fais pas rire, s'il te plaît.

Et soudain, ma peur revient. Elle cavale sur mon cœur, piétine mon âme. Et si c'était son fantôme, que je voyais ? Son fantôme venu me dire de ne pas m'inquiéter pour lui, de passer à autre chose ? Les blessures ne correspondent pas à l'attentat ! Il devrait être brûlé ! Il devrait être en miettes ! 

— Tu ne devrais pas être là, paniqué-je. Pas si tu es blessé ! C'est pas réel ! C'est...

Avec douceur, de sa main valide, il me fait tourner la tête. À une vingtaine de pas de nous, deux personnes nous observent. Clarenz. Et le père de Cléandre, que je mets quelques secondes à reconnaître. 

— Nathéo, je n'étais pas dans l'avion, je n'ai pas eu le temps d'y monter. J'étais en train de courir dans le hall d'embarquement quand... tout a sauté.

Il déglutit, livide. J'ai l'impression qu'il va tourner de l'œil d'un moment à l'autre.

— Tu n'as pas l'air bien, murmuré-je, bêtement. 

— J'étais censé rester allonger encore quelques jours, pas courir à travers un hôpital pour rassurer mon ex, tu sais ? Ma vie n'a pas été en danger... mais j'ai dégusté. Je suis resté dans le brouillard jusqu'à ce matin. Gladys m'a fait rapatrier cet après-midi avec l'accord de mes parents parce que j'allais un peu mieux.

Il ferme les yeux, les garde clos un temps qui me paraît infiniment long et subitement, il s'avachit sur moi. Sa pommette heurte mollement mon épaule. Ses cheveux courts chatouillent ma peau.

Indéchiffrable CléandreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant