Chapitre 31

405 62 41
                                    

La fête d'anniversaire bat son plein. Au centre de la pièce, Jared danse, une canette de bière à la main, les hanches de Céline, une fille de notre promotion qui ne lui plaît même pas dans l'autre. Mon meilleur ami se contente de donner le change, je le vois à son sourire crispé. Lui, il aime les jeunes filles bien en chair, pas les sacs d'os, comme il dit. 

Mon regard glisse sur lui comme sur Céline pour étudier les autres invités. Peu de monde, comme il l'avait promis, nous sommes à peine une quinzaine. Si seulement Cléandre nous avait accompagnés...

Après un soupir, mon gosier accueille avec délice une rasade de soda, puis mes dents broient une poignée de chips avant que mes yeux ne repartent à l'assaut de la foule. Je dois bien l'avouer : je m'ennuie comme un rat mort. Non, en fait, un rat mort à l'avantage d'être mort et de ne plus s'ennuyer. 

Quelle idée de me rendre à un anniversaire avec une cheville cassée. Impossible de danser, je me retrouve bloqué sur une chaise, dans un coin, condamné à regarder danser les gens. Et au contraire de ce que dit la chanson, ça n'a rien de fascinant, j'ai juste le "privilège" d'assister à la naissance d'une idylle entre deux filles dont les noms m'échappent. 

Si au moins je pouvais noyer ma solitude dans un verre de bière, mais même pas ! À cause des antalgiques codéinés, il m'est interdit de boire une seule goutte d'alcool, mon médecin s'est montré très clair à ce propos. Et au vu du savon qu'il m'a passé lors de mon rendez-vous de suivi, la semaine dernière, je préfère suivre ses recommandations à la lettre.  Enfin, quand je me trouve en présence de personnes que ma mère pourrait employer comme espions, en tout cas. Comme Jared. 

Le rendez-vous avait pourtant bien commencé. Pas de signe de phlébite ou autre joyeuseté, un bon état général, une ambiance chaleureuse. Cependant, lorsque j'ai demandé une nouvelle ordonnance pour des antidouleurs, le médecin s'est étonné que ma cheville me fasse encore souffrir. J'ai bien dû lui avouer avoir couru sur plusieurs dizaines de mètres, il n'était vraiment pas content. Face à ses réprimandes, je me suis senti comme un enfant que l'on gourmanderait — dixit Cléandre, je ne connaissais pas ce mot avant. Résultats ? Un petit aller-retour en radiographie et une semaine de plâtre supplémentaire. Ça m'apprendra à faire l'idiot, moi qui me faisais une joie d'être enfin débarrassé de ce calvaire dans deux semaines. 

Après ça viendra la rééducation. Mon bel amoureux a déjà promis à mes parents de m'y emmener, ça les soulagera puisque mon père travaille en journée sans possibilité de congé et que ma mère... déteste toujours autant les hôpitaux. J'ai cru comprendre qu'elle y avait passé beaucoup de temps à une période de sa vie, mais j'ignore pourquoi...

Bientôt, il ne reste plus aucune chips dans le bol à proximité. La bouteille de Soda est vide, elle aussi, engloutie dans sa totalité par mon estomac. Nul doute que ma vessie se manifestera dans peu de temps, mécontente d'avoir à gérer ma folie. Dans l'attente du moment fatidique où je devrais reprendre mes béquilles et me frayer un chemin parmi les corps lascifs, j'extirpe mon téléphone de ma poche. Rapidement, mes doigts font défiler les messages. Si Cléandre n'a pas voulu m'accompagner, il ne m'a pas non plus abandonné. Il m'envoie un texto toutes les dix minutes pour me raconter le moindre de ses faits et gestes. À certains messages, il joint une photo. J'avoue avoir vécu un grand moment de solitude à celle éphémère reçue d'un Cléandre nu dans une position scabreuse. Elle n'est restée sur mon écran que quelques secondes, au contraire de mon érection, laquelle a perduré pendant presque dix minutes. 

À présent, il prépare notre escapade pour le week-end à venir. Enfin, en guise d'escapade, nous allons dans sa famille, pour tout le week-end. J'y rencontrerai son père, sa belle-mère — la femme qu'il appelle Maman — et ses deux jeunes sœurs, Capucine et Zéline. Et si notre rencontre se passe bien, mes parents viendront dîner samedi soir.

Indéchiffrable CléandreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant