Chapitre 34

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Je me suis enfermé dans les toilettes malpropres, finalement. Pour fuir ma honte et ma culpabilité, au début, par réel besoin d'uriner, ensuite. Sauf que se soulager dans des toilettes à la turque avec une cheville dans le plâtre n'a rien de facile. Mon humiliation est totale lorsque je me vois obligé d'appeler Cléandre à la rescousse. 

Par chance, il n'a pas regagné la voiture. Alors que je m'adosse à lui pour ne pas tomber et qu'il baisse mon pantalon, il parvient même à plaisanter d'un ton sans joie  : à l'avenir, il préfère qu'on réserve ce genre de gymnastique à la chambre. D'autant que dans la chambre, nous avons des mouchoirs alors que je vais devoir me contenter de bien me secouer ici. Malgré la situation, je ricane : c'est à la fois drôle et immonde, mais aussi la triste réalité. 

Tandis que nous nous lavons les mains sous une eau glaciale, sa phrase me revient à l'esprit. À l'avenir... mon cœur se serre.

– Je pensais que tu me quitterais si tu le découvrais, chuchoté-je.

– Si je découvrais quoi ? Que tu as parlé à Akane ?

Je hoche la tête, concentré sur le frottement de mes mains. Geste parfaitement inutile puisqu'il n'y a pas de savon. Les mains crispées sur le bord du lavabo en inox, il reprend d'une voix où sourde la colère. 

– Est-ce que tu te rends seulement compte de ce que tu me fais ?

En toute honnêteté, pas vraiment. Si j'avais bien conscience de mal agir, je n'ai pas pensé un seul instant à l'impact que ça pourrait avoir sur lui. J'ai réfléchi en termes de couple, pas en termes d'individu. Seulement, je ne suis pas vraiment prêt à l'admettre.

– Ce n'est pas si terrible, non plus. J'ai juste parlé à quelqu'un qui t'a connu avant. Et puis, tu savais que j'enquêtais, non ? 

– Je t'ai autorisé à enquêter sur moi, sur ma famille, pas sur Kaname ! Tu fouilles dans mes secrets les plus intimes, là ! 

Mon attention se rive à ses doigts, à ses jointures qui blanchissent tant il serre le rebord. Je n'ose lever les yeux vers son visage, j'ai peur de découvrir son expression, peur de lire dans ses yeux toute la hargne qu'il semble se contenir de me cracher au visage.  

– Sur un événement qui m'a traumatisé, tu le sais parfaitement ! Quelque chose de si terrible que je refuse de m'afficher de nouveau, que je refuse d'aimer à nouveau, que j'ai été pendant des mois sous antidépresseur ! 

Ses mains abandonnent le lavabo, il disparaît de mon champ de vision. Il reprend la parole après une courte pause. Toute trace de colère a disparu au profit d'une immense lassitude. 

– Tu crois que c'est un jeu ? Je croyais que Gladys t'avait fait comprendre que non, mais je me trompais, de toute évidence. 

La mention de Gladys m'achève. Comment ai-je pu balayer si facilement la décision prise face à sa peine, ce jour-là ? Mon amour pour lui s'arrête-t-il donc aux limites de ma curiosité ? Je risque enfin un regard vers lui. Il me dévisage sans plus parler. Nos yeux s'accrochent, s'étudient. Mon cœur se brise de le découvrir ainsi, les traits affaissés, les yeux éteints, des sillons humides sur les joues. Cléandre est dévasté. Anéanti. Par ma faute. 

Sarah m'avait pourtant prévenu : sa dépression n'est pas guérie. J'ai fait une grave erreur en prétendant l'ignorer. Je ne prends pas soin de lui comme je l'avais promis à Sarah. Quelle fille admirable, elle était une bien meilleure petite amie que moi. Combien de fois encore devrais-je réaliser que je fais du mal à Cléandre au lieu de lui redonner le sourire pour cesser mes conneries ? Et si cette fois avait été la fois de trop ? 

Indéchiffrable CléandreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant