Chapitre 7

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— Mais putain, Elias ! Tu ne te rends pas compte de ce que tu me demandes ! s'exclama Louis.

Dans une sombre ruelle de Londres, les deux amis discutaient en gesticulant comme des possédés. Depuis qu'ils avaient commencé à parler, leur voix ne cessait de s'amplifier.

— Bordel ! Mais pourquoi tu ne veux pas ? s'énerva Elias. Tu ne veux pas sauver la France ? L'enlever à ces connards de Boches ?

— Hé bien, je te l'ai déjà mille fois mais tu ne comprends pas, répondit son ami en secouant la tête. Ce n'est pas que je ne veux pas, c'est que je ne peux pas ! Qu'est-ce que tu peux être borné !

Elias serra les poings et grimaça. La réaction de Louis était si puérile !

Ils se laissèrent tous deux glisser le long de murs opposés. Depuis plus d'une semaine, Elias tentait en vain de le convaincre de rejoindre la Résistance. John lui avait expliqué qu'il était normal de ne pas recevoir des tâches de grande ampleur au début de son engagement. Ainsi, malgré la déception de sa première mission, il était resté dans le réseau.

Mais Louis, têtu, refusait de devenir résistant. Elias désigna le journal froissé qu'il tenait dans sa main. C'était sa dernière chance. Une inscription en gros caractères y était inscrite : « France, une loi sur le statut des juifs a été promulguée ».

— Tu comprends ce que ça signifie ? Tu t'en rends compte ? Des hommes, comme toi et moi, vont subir un sort atroce. Tout ça parce qu'ils ne pratiquent pas la même religion que nous ! Ce n'est pas possible de les laisser comme ça ! Il faut agir ! Bientôt, les nazis vont tuer ces gens ! Et toi, tu vas rester les bras croisés ? Si c'est le cas, tu es vraiment un con ! cracha Elias. Bouge-toi un peu !

Ses mots étaient durs, mais au moins, le message était passé. Louis sanglota, des larmes roulèrent sur ses joues et il secoua sa tête d'avant en arrière, totalement désemparé.

— C'est justement pour cela que je ne veux pas m'engager ! J'ai peur, je ne veux pas mourir ! cria le jeune homme.

— Mais peur de quoi, bordel ? Tu ne risques rien ! s'exclama Elias, sachant, malgré tout, ses propos exagérés.

— Je... je suis... juif ! Tu ne te soucies que de toi, de ta petite opinion ! Jamais tu ne te soucies de moi, de ce que je veux faire ! fulmina Louis entre deux pleurs. Toi, cela ne te ferait rien de mourir, tu n'as aucune famille, tout ce qui compte... c'est toi. J'ai des parents, je ne veux pas les laisser seuls. Mais tu ne t'en es jamais rendu compte, bien entendu ! Hé bien, au final, c'est toi qui es con à toujours vouloir forcer les gens.

Elias resta bouche-bée, figé. Son ami se leva précipitamment et s'éloigna, les jambes flageolantes, tandis que lui demeurait contre le mur, la tête entre ses genoux. Oui, il avait été con, cependant il ne le reconnaîtrait jamais. Il n'avait rien remarqué. Louis était juif ? Cela expliquait bien des choses pourtant. À commencer par son refus d'entrer dans la Résistance. Néanmoins, Elias ne comprenait pas. Ce serait justement un moyen pour lui d'aider ses semblables ! S'il avait été à sa place, il n'aurait pas hésité une seule seconde.

Tiraillé entre remords et convictions, il décida de ne pas suivre son compagnon et se releva pour quitter la ruelle.

Leur dispute perturbait Elias. Il n'avait pas l'habitude d'être en conflit avec Louis. Généralement, c'étaient simplement de petites boutades, avec des sourires en coin. Cependant, en ce moment, rien n'allait plus.

Le journal qu'il tenait à la main en témoignait. Les nouvelles de la France, et même de toute l'Europe, étaient mauvaises. En cet automne 1940, il valait mieux se faire minuscule partout où les Allemands passaient.

Une alliance entre le Japon, l'Allemagne et l'Italie avait été conclue et n'augurait rien de bon pour le Royaume-Uni et la France. Le IIIe Reich semblait plus puissant que jamais. Le Führer, à la tête du gouvernement, multipliait les conquêtes. Seul le Royaume-Uni résistait.

Unique espoir à l'horizon : depuis quelques jours, les bombardements semblaient avoir cessé. Retrouver enfin des nuits plus calmes avait eu l'effet d'un baume au cœur pour les habitants même s'ils restaient sur leurs gardes, vigilants. Ce n'était sans aucun doute qu'une accalmie.

Elias vagabonda sans but et finit par arriver devant chez lui. En se rappelant l'absence de sommier, il rouspéta, lui qui rêvait déjà de s'installer dans un bon lit. Il jura tout en montant les quelques marches qui menaient jusqu'au perron. Il pénétra dans la maison des Sanders, laquelle était plongée dans l'obscurité. L'économie d'énergie était de légion en ces temps de guerre.

Une ombre l'observait depuis sa chambre. Elias sentit des yeux glisser sur son visage anguleux et sa musculature. Il ne regarda pas une seule seconde Clara, postée près de la porte. Une nouvelle fois, il l'ignorait et elle n'eut d'autre choix que de se retirer dans sa chambre, ses iris brillant dans la pénombre.

Elias atteignit sa petite soupente. Les jambes tremblantes et les yeux cernés, il s'attabla à son bureau, puis sortit son journal d'un petit tiroir. Il commença à tourner les pages, les unes après les autres, jusqu'à tomber sur celle qu'il cherchait. Il se plongea dans sa lecture, les mains fébriles.

Deux mois que j'erre dans la rue, qu'est-ce que je vais bien faire pour vivre ? Pour survivre ? Voilà trois mois que maman est morte, l'argent qu'elle m'a laissé m'a permis de vivre quelques semaines, mais maintenant, c'est fini. Je n'ai plus rien.

Retranché dans un coin de la rue, j'ai juste le temps de noter ces quelques mots. Je me tiens à l'écart de mes autres compagnons. La solitude me pèse par moment, cependant là, j'en ai besoin. Ce matin, un jeune homme a croisé ma route. Sa démarche guindée a tout de suite attiré mon regard. Ses yeux bruns fuyaient les visages des gens, pourtant, quand il m'a aperçu, il s'est avancé vers moi, à petits pas. Il a sorti de son sac une pomme, puis vérifiant que personne ne l'avait vu, il me l'a tendue puis est parti en courant, sans que je n'aie eu le temps de le remercier.

Bien que nous ne nous connussions pas, je pense qu'un lien s'est formé entre nous ; je me sens attaché à lui, comme à un ami. J'ai toujours son cadeau, mon unique nourriture du jour. J'attends que toutes les lumières de la ville s'éteignent pour pouvoir la croquer en toute sécurité. Mon ventre gronde, mais je l'ignore, je préfère me rappeler chaque détail de notre rencontre. Ce sourire gêné qu'il m'a adressé, son allure maladroite...

J'ai envie de le revoir demain, son visage enfantin m'a apporté un peu de réconfort, dans la grisaille de Londres.

Elias laissa tomber quelques gouttes salées sur son journal. Il se réprimanda lui-même, il ne voulait pas perdre son ami. La gorge nouée, le corps tout tremblant, il referma son carnet, réfrénant son envie d'écrire. Il devait être fort, il ne pouvait plus se référer à ce journal d'antan, celui d'une autre vie.

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Coucou !

J'espère que vous avez passé de bonnes fêtes de Pâques et que vous avez mangé plein de chocolats ! 

Je reviens avec un chapitre que j'aime beaucoup ! N'hésitez pas à me dire ce que vous en pensez ;)

Comment se passe votre Nano ? De mon côté, c'est le calme plat... C'est horrible, je n'ai pas ouvert Résistant depuis trois semaines pourtant, je veux vraiment le réécrire. Je vais essayer de m'y mettre aujourd'hui ! 

Bon Lundi et bonne semaine !


RésistantOù les histoires vivent. Découvrez maintenant